mercredi 18 décembre 2019


Étape 22 : Périgueux, 22,8 km : Dimanche 7 juin 2 015.




Résumé de l'étape :

            Périgueux est la dernière grande ville de plus de 30 000 habitants sur la voie de Vézelay avant Saint-Jean-Pied-de-Port, et je n'ai fait que la traverser pour aller à mon hébergement à la périphérie de cette agglomération du Périgord.

            Dans cette étape, j'ai surtout retenu le long passage dans la forêt domaniale, et, avant de retrouver la dernière départementale, j'ai cheminé dans des zones aménagées pour des activités sportives et de détente. Des balises de l'association de Compostelle locale qui viennent parfois compléter celles du GR ont fait leur apparition, avec des manquements à des passages importants voire des contradictions quant à l'utilisation du logo européen jaune et bleu : le positionnel ou le directionnel ? Un vrai débat sur la pratique et la collaboration des associations jacquaires ! 
Le déroulement de l'étape :

            La nuit à la chambre d'hôtes de Valentini a été parfaite, mon sommeil n'a pas été troublé par le moindre bruit, et c'est en forme que je suis passé de bon matin à la salle d'accueil pour prendre mon petit déjeuner. Le dispositif prévu par le logeur était à la hauteur.

            Quand je suis parti, vers les 7 h, en ce dimanche, Marie la Canadienne était encore attablée ; et je suis sorti du village de Sorges sans avoir rencontré un seul de mes amis qui étaient au refuge municipal.

            Sur l'étape dans son ensemble, mon « Lepère » indiquait que 85 % de cette étape pouvait se faire par des petits sentiers en forêt, mais qu'il était possible d'aller plus vite en prenant la « route Napoléon », ce que montre le plan au premier coup d'œil, mais le balisage étant assez bon, j'ai pris le chemin dans la campagne.

            Donc, dans la première partie, après avoir rejoint la N 21, je suis passé par de petits bourgs tranquilles, après avoir côtoyé des vergers de noyers ou de châtaigniers ; les élevages d'oies rencontrés rappellent bien aux marcheurs qu'ils sont dans le Périgord. C'est ainsi que j'ai traversé ou contourné les bourgs de Bizol, de Rebeyrie, et d'autres petits villages.

            Mais la partie la plus intéressante voire un peu impressionnante quand même puisque je marchais seul a été la traversée de la « forêt domaniale » : cette large piste forestière, interminable en raison du manque de balise de confirmation, surtout quand un balisage local (bleu et jaune), coquille stylisée ou flèche, prend le relais de celui du GR (blanc et rouge), fait toujours penser à un possible manque de vigilance et à la possibilité d'une erreur de parcours. Mais les belles portions toutes droites sont aussi reposantes. Cependant, j'ai été content d'en finir et de rejoindre la D 69.

            Au lieu-dit La Meynie, j'ai retrouvé la D8. Avant la grande route, pendant un bon moment, j'ai traversé des zones aménagées en camping, en circuits de balade ou de jogging, bien fréquentées en ce dimanche – au fur et à mesure que je me rapprochais de la ville, je rencontrais de plus en plus de citadins souvent en groupes qui s'adonnaient à leurs activités sportives ou de détente du week-end. Nous échangions même parfois des petits mots de bonne continuation.

            Ce fut ensuite la grande route  dans une longue et légère descente en zone urbanisée vers Périgueux, au cours de laquelle Jean-François a fait son apparition – je ne suis pas sûr que nous ayons auparavant fait exactement le même trajet ; d'ailleurs, par habitude, il trace son propre chemin.

            Il marchait vite devant moi, et à un moment, je l'ai vu prendre une route à gauche, alors que le balisage indique toujours de continuer la descente. Et l'homme est entré tout de suite dans une boutique d'alimentation ; je l'ai suivi, car c'était l'occasion de faire des provisions pour la suite : j'ai pu ainsi acheter du jambon, du saucisson et du fromage ; et mieux encore : dans une boulangerie juste à côté, j'ai pris un gros pain rond, de quoi tenir le soir, et le lendemain sur la route.

            Plus bas, au rond-point de l'hôpital, nous avons continué à descendre tout droit et nous avons dépassé la Maison diocésaine.

            Arrivés à un grand rond-point, nous savions la cathédrale proche, mais un besoin de bons repérages se faisait sentir dans cette grande ville, la dernière de cette importance sur le reste du parcours jusqu'aux Pyrénées. Justement, à un petit square, près d'un parking, un affichage plan public sur panneau inaltérable a attiré notre attention.

Mon hébergement à Périgueux :

            Nous avions marché ensemble dans la dernière partie de cette étape, mais sans que nous ayons échangé un seul instant sur la question de l'hébergement ; j'avais, par Alain, une réservation à une chambre d'hôtes presque à la périphérie de la ville, mais je ne savais pas où Jean-François comptait crécher ce soir-là. C'était sa liberté !

            En tout cas, naturellement, quand nous avons aperçu non loin du trottoir un plan de la ville, j'en ai bien un dans mon livre, mais il est un peu ramassé sur le centre de l'agglomération, je me suis dit que tout allait s'éclairer sur la suite. J'ai l'habitude de mettre en route ma connexion Internet sur mon Iphone qu'à la dernière extrémité, le but est de réserver prioritairement l'énergie de la pile aux photos et aux communications téléphoniques. Non loin de ce panneau se trouvait aussi le couple d'Allemands que je retrouvais souvent sur le chemin.

            J'étais en train d'essayer de me caler sur ce plan quand j'ai vu une femme revenir sur nous alors qu'elle venait de nous dépasser. D'elle-même, elle a commencé à vouloir comprendre dans quelle situation nous nous retrouvions tous les deux. Jean-François : son but déclaré était la cathédrale – avait-il quelque chose en vue dans ses environs ? Il en était tout près. C'était bien différent pour moi : après avoir donné à cette dame l'adresse précise qui m'intéressait, 12 rue du Docteur-Calmette, en précisant bien dans la continuité du chemin de Compostelle qui traverse la ville, elle m'a demandé de venir avec elle : je rentre chez moi, je vais faire un bout de chemin avec vous, et au rond-point qui est plus loin, je vais vous donner la direction principale, m'a-t-elle dit. Elle avait déjà fait ce chemin de Compostelle.

            Arriver dans cette grande ville de Périgueux, un dimanche après-midi où il n'y a pas grand monde dans les rues et tomber sur une pèlerine du coin qui vient spontanément m'aider à trouver mon hébergement, cela relève un peu de l'extraordinaire. Merci Saint-Jacques !

            Elle me précisa après le rond-point : vous êtes dans la rue Victor Hugo, et vous devez aller jusqu'au bout... et au fond, sur votre droite, vous prendrez la rue Jules Ferry et après quelques rues traversées, vous trouverez celle du Docteur Calmette. Je ne crois pas qu'elle ait un plan détaillé de sa ville en tête, elle doit certainement entretenir des relations avec des pèlerins du coin, ce qui fait qu'elle est capable de situer les principaux lieux d'accueil.

            La subtilité que je n'avais pas saisie tout de suite sur mon plan, c'est que le chemin au fameux rond-point descend pour aller à la cathédrale, et y retourner afin de repartir et quitter la ville par la rue Victor Hugo, laquelle est aussi la D 939, me paraissait quelque peu bizarre.

Elle n'en finissait pas cette rue « Victor Hugo » ; ne voyant pas arriver « Jules Ferry », j'ai fini dans un quartier par entrer dans un bar-restaurant qui était sur le point de fermer en ce dimanche ; le serveur m'a dit, en faisant un geste de la main : votre rue, elle est juste là ; et, au fond, vous trouverez la rue du Docteur Calmette.
 Un peu plus loin dans cette rue légèrement montante, en passant devant le porche d'un immeuble, j'ai entendu quelqu'un m'appeler. J'ai tourné la tête, c'était une vieille dame qui attendait que sa famille vienne la chercher ce dimanche : vous allez à la chambre d'hôtes d'à côté, m'a-t-elle dit. Marie-Joseph Lachal semble être bien connue dans le quartier. Elle est hygiéniste naturopathe, et ses activités couvrent une large palette : consultations naturopathes, exercices physiques, massages, cours de cuisine, etc. Je ne pouvais que constater que mon chemin se trouvait bien « balayé » au fur et à mesure que j'avançais. Pas de doute : Saint Jacques y veillait !

Une 2e blessure à la main : un signe négatif ?

            Le groupe de maisons correspondant à l'adresse indiquée ne donne pas sur la rue elle-même, il en est assez éloigné. Le chemin d'entrée mène à une cour entourée de bâtiments et de jardins ; mais comme Alain m'avait parlé du chien de la propriétaire dont il faut malgré tout se méfier, je ne suis pas entré directement dans la cour, j'ai préféré attendre un peu à l'entrée. Au bout d'un certain temps, j'ai remarqué qu'une autre voie permettait de contourner l'entrée principale, en passant auprès d'un petit garage tout neuf où j'ai découvert une affichette invitant les marcheurs à continuer sur cette petite voie. Elle menait à un autre bâtiment, le refuge attendu. La porte n'était pas verrouillée, je suis entré.

            Au premier niveau du rez-de-chaussée, du matériel de travail pour la naturopathe dont une table de massage dans une salle spécialisée ; à un 2e niveau, une salle à manger, qui donne sur une espace cuisine, d'où part un escalier de bois permettant de grimper jusqu'à un autre espace aménagé sous le toit : un petit dortoir.

            Je n'ai pas voulu m'y installer tout de suite, je préférais attendre l'arrivée des autres. J'ai déposé mon sac au premier niveau – j'ai même voulu sortir pour découvrir tout le terrain à l'arrière de ce bâtiment qui est encore plus ou moins en friche.

            J'ai donc appuyé sur la barre qui sert à déverrouiller la porte par une simple pression, mais elle résistait car elle était coincée ; j'ai essayé avec ma main gauche de mettre un peu de pression au niveau de l'articulation du système qui s'est débloqué tout d'un coup. Et en revenant à sa position initiale, la partie métallique de cette articulation m’a carrément arraché un bon cm² de peau à la face interne de la phalange proximale de mon index gauche – et le sang a jailli aussitôt, maculant le carrelage près de la porte. 

            C'est la deuxième fois que je me blesse à un doigt sur ce chemin – la première fois, c'était lors de ma 2e étape, dans la forêt de Champlemy, et il me suffisait de refaire les mêmes gestes : appliquer fermement sur la blessure un mouchoir de papier pour arrêter l'hémorragie, et le maintenir avec le pouce ; prendre dans le bonnet de mon sac le petit sachet trousse où se trouve tout ce qu'il faut pour un pansement rapide. J'ai enlevé ensuite le sang sur les carreaux du séjour, si tant est qu'il fût possible dans ces conditions de faire un nettoyage correct dans le séjour de cette maison. J'ai bien consolidé le pansement avant de passer sous la douche. Et ce n'est qu'après mon installation que j'ai refait un vrai pansement pour la nuit.

            Fallait-il y voir un petit signe négatif ? Après Champlemy, pendant la marche, je tenais mon bâton à gauche avec le pouce blessé relevé, la question maintenant était de savoir si je pourrais adopter le même positionnement avec mon index pour éviter des pressions sur la blessure. La nature est bien faite, une main reste fonctionnelle avec quatre doigts, tout est une question d'adaptation. 

            J'ai appris sur le chemin que s'il faut anticiper sur les difficultés, il faut aussi savoir fixer son attention sur ce qui se vit sur le moment. Si signe il y a eu, c'était peut-être pour montrer que rien n'est jamais acquis, que tout doit être remis sur le métier, en ne perdant pas de vue « la dimension verticale du chemin ».

            Ce n'est qu'après l'arrivée du groupe d'Alain que j'ai choisi mon lit au dortoir, après avoir fait une constatation : il faisait très chaud sous ce toit, mais pour autant je n'ai pas voulu ouvrir une lucarne d'aération hautement perchée, pour ne pas risquer de me déchirer encore la main.

Un pas de plus dans l'intégration au groupe d'Alain :

            J'avais descendu du dortoir mon ravitaillement pour mon dîner alors que les autres commençaient à se lancer dans leur cuisine habituelle quand Alain me demanda si je voulais manger avec eux. J'ai accepté bien volontiers, et j'ai mis la moitié de mes victuailles à la disposition de tout le monde, l'autre moitié étant pour l'étape du lendemain. Je leur ai dit que, pour aujourd'hui, je ne pouvais pas prendre une part à la vaisselle compte tenu de ma blessure.

           La salle à manger est assez grande, et en attendant que le repas soit prêt, Alain et Cor étant à la manœuvre, Ole a fait une petite démonstration de ses talents d'artiste, dans son domaine professionnel : il nous a présenté différents types de décoration qu'il exécute sur ses pâtisseries – il est pâtissier de son état
. C'est que sur tout un pan du mur, il y a un tableau noir, qui doit aussi servir de classique outil de travail à Marie-Joseph, l'éducatrice de santé, et suffisamment de craies sont à la disposition des pèlerins pour qu'ils puissent présenter leurs créations et laisser des messages sur place (voir photo). D'ailleurs, sur ce même support, la responsable du gîte nous en a laissé un message.

            Nous étions bien dans ce cadre, il y avait un esprit de corps dans ce groupe que je fréquentais depuis quelques jours, mais il manquait Jean-François, Guy, et d'autres encore. C'est la vie sur le chemin, tout bouge, tout se fait et se défait ; chacun se remet en cause, se reconstruit... Une évolution perpétuelle.

            Nous avons fait un bon repas, Alain et Cor ont un bon savoir-faire, et même du talent dans ce domaine.

            La première partie de la nuit a été difficile en raison de la chaleur quoique Cor en faisant preuve d'acrobatie ait réussi à ouvrir une petite fenêtre du toit, mais aussi parce que Ole nous a fait pour la première fois une démonstration de ses talents de ronfleur. Dans la 2e partie de la nuit, la température ayant baissé et Ole ayant terminé sa « prestation musicale », j'ai pu vraiment me reposer.


vendredi 6 décembre 2019


Étape 21 : Sorges, 18,2 km : samedi 6 juin 2 015.

Photo : Tout près de l’église de Sorges.


Résumé de l'étape :

            De façon générale, dans cette petite étape, le chemin est assez bien balisé, il a manqué parfois quelques balises de confirmation entre deux points bien signalés, pour rassurer le marcheur, dans les zones forestières par exemple. Le chemin n'est jamais très loin de la N 21 ; le plus souvent, il fait avancer le pèlerin le long de petites routes de campagne.

            Après le camping hier, je me suis retrouvé aujourd'hui dans une chambre d'hôtes, et j'ai dîné dans un restaurant de qualité. En réalité, dans les deux cas, ce n'était pas une décision préalablement arrêtée : le gîte municipal était complet, la chambre d'hôtes près de l'église, restait le seul point disponible à portée ; et en ce qui concerne le restaurant, j'étais bien loin de penser que j'allais débarquer dans un tel lieu, mais, là aussi, après que je m'en étais rendu compte, il n'y avait plus la possibilité d'enclencher un plan B. Je ne savais pas en y allant que j'allais manger au « Bar Auberge de la Truffe » ni que Sorges en Périgord est considéré comme la capitale mondiale de la truffe noire tuber Melanosporum. Il n'en reste pas moins que le résultat est un excellent souvenir de ce petit bourg avant que mon chemin ne me conduise le lendemain dans la grande ville de Périgueux.

Le déroulement de l'étape :

            Au départ, j'ai pris un petit déjeuner au bar-restaurant du camping de Thiviers – j'ai même un peu poussé le serveur à mettre en route sa machine de façon à avoir du thé, et attendu un petit moment pour qu'il soit livré en pains et autres croissants. Et j'ai fini par avoir tout ce qu'il me fallait en ce samedi matin. Je me suis même fait préparer un sandwich pour la route. J'étais le premier à partir et à refaire la pente jusqu'à la ville qui est toute en hauteur par rapport au camping. L'escalier final qui y amène débouche presque en face de l'église. Et sur cette place, il y avait un marché animé ; les gens allaient et venaient d'un stand à un l'autre. J'ai simplement acheté deux oranges, vu que j'avais de quoi pour le repas de ce midi dans mon sac.

            Et j'ai pris à gauche la grande rue qui passe devant l'église, mais comme je ne trouvais pas de balise un peu plus loin alors que j'étais à une fourche, je suis retourné sur mes pas. Arrivant presque au niveau des premiers stands du marché, j'ai vu Guy assis sur un petit mur, il renouait les lacets de ses chaussures, l'air nullement pressé, il est vrai que l'étape du jour est petite. J'ai pris les pages de l'étape dans mon livre, et j'ai relu attentivement ses préconisations. Je ne m'étais pas trompé pour le départ : il fallait bien continuer l'avenue Jean-Jaurès, et prendre ensuite à l'intersection l'avenue A. Croisat. Je n’ai pas tardé ensuite à retrouver le balisage.

            Puis j'ai emprunté différentes voies communales, longé de petits hameaux, pour rejoindre ensuite la route Napoléon, que j'ai quittée par des passages dans des bois ou des chemins herbeux à travers champs. Il n'y avait aucune difficulté.

            Je n'ai eu qu'un seul contact avec la RN 21, pour la traverser et la quitter aussitôt ; et par de petites routes toujours à travers bois et champs, je suis arrivé à Négrondes, le temps d'une halte pour manger sur la place de l'église du village était venu. J'avais entre-temps retrouvé Guy un peu avant ce village.

            Ce fut le seul moment de visite dans cette étape, à une petite église, mais toujours sans avoir rencontré un seul habitant. Assis sur les marches d'escalier de cette église, j'ai mangé mon sandwich, tout en contemplant le va-et-vient des hirondelles qui construisaient leurs nids sous la gouttière d'un toit d'une grande maison (voir photo). Guy, après avoir englouti avec appétit une boîte de sardines, s'est délecté de plusieurs petites cigarettes qu'il roule lui-même. Je n'avais plus rien à faire, j'avais déjà fait une petite visite de l'église, je suis parti. Lui n'avait pas l'air pressé, moi si : je devais arriver assez tôt pour verrouiller ma place dans une chambre d'hôtes.

            Un peu plus loin, j'ai dépassé un randonneur du coin, je lui ai dit bonjour, il a à peine répondu à mon salut. J'ai encore emprunté des chemins de terre dans des champs puis le long de belles petites forêts bien vertes. Et c'est par la D 8 que je suis rentré à Sorges.

            Quand je suis arrivé à l'église de ce bourg, une chose me préoccupait : il me fallait trouver un peu d'ombre pour poser mon sac et me reposer. Tout le monde faisait sans doute la sieste en ce samedi après-midi très bien ensoleillé. Je me devais d'attendre un peu avant de déranger M. Valentini, sa maison est sur cette même place. La porte d'entrée de mon hébergement était verrouillée, mais j'avais repéré une sonnette. J'ai fait un tour dans les environs et je n'ai rencontré personne. Il n'y avait pas grand-chose à visiter ; j'ai bien vu l'enseigne de la maison de la truffe, mais le bâtiment était fermé, rien d'anormal pour un samedi après-midi, et à cette heure !

            C'est un peu plus tard que j'ai sonné à l'entrée. J'ai été accueilli par le propriétaire des lieux qui m'a emmené à ma chambre, juste à côté de la salle d'accueil. Irréprochable : de l'espace à ma disposition, et des sanitaires tout à côté. Je ne risquais pas d'être dérangé ; aussi, après la douche, j’ai fait une bonne sieste.

Les formalités habituelles à l'étape :

            À mon réveil, je suis allé cogner à la porte de l'habitation principale de M. Valentini, mon habitude est de régler les formalités habituelles le jour de l'installation et de ne pas le faire le lendemain matin dans la précipitation du départ. Il est sorti, et nous sommes restés à l'extérieur où sont disposées des tables et des chaises métalliques ; et au premier coup d'œil j'ai deviné que toute cette grande cour devait être hier encore un espace bien organisé avec de nombreuses espèces végétales. Aujourd'hui, l'âge venant, l'entretien n'est plus du même niveau.

            Nous avons un peu échangé, discuté de nos parcours personnels ; et quand je lui ai dit que je venais de la Réunion, il a réagi aussitôt : j'ai pas mal bourlingué dans ma vie, m'a-t-il dit, mais je ne suis pas allé dans cette île ; cependant, je la connais un peu quand même, ma fille enseigne là-bas... Le monde est petit ! Et il m'a dit alors presque comme une confidence : il y a un restaurant près de la nationale, pas loin d'ici, mais il faut réserver. J'ai pensé à une seule chose sur le moment : j'aurai donc moins d'achats à faire, moi qui ne pensais qu'à un simple repas pour le soir.

            Avant de me quitter, il m'a dit que je trouverai le lendemain dans la salle d'accueil tout ce qu'il faut pour un petit déjeuner, en produits et en matériels, y compris un micro-onde pour les boissons chaudes et un réfrigérateur pour les jus de fruits et les produits laitiers. 

            Quand je l'ai quitté, ma pensée était surtout centrée sur la réservation au restaurant ; pour moi, c'était alors un peu comme sur tous les chemins de Compostelle : réserver vite pour le premier service, car autrement, il faut attendre le suivant, et c'est autant de temps pris sur la nuit de repos.

Un tour dans le village :

            La question de la chambre d'hôtes étant réglée, je suis sorti faire mes achats ; l'étape du lendemain étant plus longue, il me fallait avoir un peu plus de munitions dans mon sac, mais je ne savais pas où trouver un commerce d'alimentation. À côté de l'église, j'ai vu le refuge municipal et un homme, vraisemblablement l'hospitalier, était sur le pas de la porte. Je me suis dirigé vers lui, et il m'a dit d'entrer dans la salle d'accueil. Je suis tombé sur toute l'équipe de pèlerins des étapes précédentes. Mieux : ils étaient dans une petite fête improvisée. Il y avait là Alain et son groupe, Jean-François et Guy, mais aussi Xavier que je n'avais pas revu – Simone devait sans doute se reposer dans le dortoir. Et je me suis vite retrouvé un verre à la main, car ils fêtaient l'anniversaire d'Ole, le Danois – ma mémoire se fait plus précise : c'est bien un Danois ! 


            Sans aucun doute, Alain et Core étaient en plein dans la préparation d'un bon repas pour la circonstance. Avec l'hospitalier, j'ai eu toutes les informations pour aller au restaurant que m’avait recommandé M. Valentini, et au magasin d'alimentation qui se trouve dans les environs immédiats.

            Je suis passé d'abord au restaurant, et j'ai été surpris de voir l'animation qu'il y avait déjà à cette heure, de la qualité du bureau d'accueil, et des personnels de service, bien habillés, qui s'affairaient dans les couloirs. Cette partie de l'accueil, je l'ai trouvée un peu richement aménagée pour un restaurant sur le chemin, mais dans ma tête, c'était la partie hôtel associée qui me donnait cette impression. Ma réservation a été enregistrée en moins de deux, et je suis parti faire mes achats.

J'ai trouvé un magasin où il y avait de tout, et de la qualité, y compris pour les fruits ; j'ai pu aussi prendre une bière fraîche. J'avais alors ce qu'il me fallait pour l'étape du lendemain, je pouvais retourner à ma chambre et attendre un peu avant d'aller dîner.

Une stratégie à table dans un restaurant chic :

           Quand je suis arrivé à l'accueil du restaurant, une hôtesse m'a tout de suite emmené dans la salle à manger. Au premier regard, j'ai compris que j'étais dans un cadre exceptionnel : d'abord, l'hôtesse m'a demandé de choisir une table ; ensuite, outre la beauté de la salle en elle-même, la qualité des nappes toutes blanches et des couverts sortait vraiment de l'ordinaire ; et enfin les habits des quatre clients qui avaient déjà commencé à manger montraient bien que je n'étais pas du tout dans un restaurant de pèlerins. J'ai eu alors une hésitation sur la suite à tenir, mon habillement, savates deux doigts, pantacourt, T-shirts et polaire, était bien loin d'être adapté à l'environnement ; de plus, je n'avais même pas un peigne sur moi pour me coiffer après avoir retiré mon chapeau. Je me demandais s'il ne fallait pas tout simplement renoncer à manger à cet endroit, quitte à prétexter un malaise et même à payer quelque chose. Heureusement que la salle était encore presque vide, et que je n'avais pas braqué sur moi X paires d'yeux au minimum très interrogatifs quant à ma présence en ce lieu – je ne suis jamais dans la provocation, quelles que soient les circonstances.

            Deux éléments m'ont rassuré et ont fait que je me suis décidé à jouer le jeu, à aller jusqu'au bout : Les hôtesses me regardaient comme si j'étais en complet-cravate ; j'étais à peine assis que l'une d'elles est venue me donner la carte, en me conseillant certains plats, et en me précisant bien que j'avais tout mon temps. D'autres membres du personnel qui circulaient dans la salle n'ont pas manqué de me saluer en passant près de ma table. C'étaient vraiment des professionnels, bien formés à leur métier, et j'ai tout de suite pensé au restaurant près de la cathédrale de Limoges où j'ai dû insister en plusieurs fois pour être servi correctement ; c'est ce qui m'a donné aussi une certaine assurance en me disant que la comparaison serait intéressante sur plusieurs points. Psychologiquement, j'avais renversé la situation.

            Outre le cadre et le personnel, la carte donne vite une idée de la qualité de ce restaurant : tout tourne autour de la truffe du Périgord et autres produits de la gastronomie locale, et les prix sont aussi à la hauteur de la qualité des menus. J'ai donc joué pour ne pas grever mon budget tout en restant dans le local, et j'ai commandé globalement mon menu, en évitant de prendre une entrée : un kir cassis en apéritif et des trucs pour grignoter, un confit de canard en plat principal et une glace aux noix, le tout arrosé d'un Bergerac rouge. Extra ! Mais il y a eu un « sacrilège » : dans ce « temple », je n'ai pas choisi de plat à la truffe noire tuber melanosporum du Périgord, pour une question de prix. Cela ne m'a pas trop gêné, je n'ai pas l'habitude d'en manger, et dans ma mémoire des goûts, je ne trouve plus de trace de cette saveur. Je pouvais m'en passer sans problème – j'aurais dû peut-être commander une salade relevée par des fines lamelles de truffe coupée, pas trop chère, rien que pour « respecter » un peu cet établissement de Sorges qui est – et je l'ai découvert plus tard – l'une des institutions de l'hôtellerie-restauration de la région avec ses recettes à la truffe.

            Pendant mon repas, j'ai été réconforté par l'arrivée du couple d'Allemands rencontré plusieurs fois sur le chemin, mais tous les deux étaient assez bien habillés. Nous avons parlé des choses et d'autres malgré la barrière des langues. Finalement, j'ai fait un bon repas – le confit de canard est extra, c'est un plat qui se laisse manger ; chaque fois que j'ai marché dans le Sud-Ouest de la France, je n'ai jamais raté l'occasion de me faire plaisir.

            En sortant du restaurant, j'étais extrêmement bien, mais j'ai renoncé à passer au gîte municipal pour voir mes amis qui étaient dans leur petite fête. Et j'ai bien fait, car j'ai longtemps discuté avec la Canadienne que j'ai découverte à mon retour dans l'accueil de la chambre d'hôtes.

Marie la Canadienne : voir photo.

            Avant le restaurant, j'avais entrevu la Canadienne, le jour tirait sur sa fin et elle n'avait pas encore trouvé un toit pour la nuit. Mais elle ne s'en inquiétait pas, elle continuait à chercher – j'avoue ne pas avoir un tel sang-froid : quand ma réservation est faite, je m'efforce de ne pas rentrer trop tard pour le cas où surgirait un problème de façon à avoir suffisamment de temps pour y faire face. En rentrant après mon excellent repas, je l'ai découverte à l'accueil qui servait aussi de salle à manger. Ce qui veut dire qu'a Sorges même, le gîte municipal étant plein, il ne restait que cette chambre d'hôtes comme solution d'hébergement.

            Quand je dis manger, en fait, Marie picorait ; il y avait 3 ou 4 petits papiers ouverts devant elle, et sans dire du mal, je l'ai vue un peu comme un oiseau qui piquait des graines en passant d'un papier à l'autre. Comme M. Valentini ne fait pas table d'hôte, et si elle avait utilisé son temps à chercher un toit, il ne lui restait plus le soir qu'à taper dans ses réserves de marche. J'étais sur le point de lui dire que je pouvais lui donner un quelque chose de plus consistant, mais je ne l'ai pas fait parce que je ne la voyais pas du tout exténuée, affamée, mais plutôt à l'aise. Au camping de Flavignac, deux jours avant, je n'étais pas à côté d'elle le soir à la petite table, je ne l'ai pas vue manger, peut-être que dans la vie de tous les jours, temps de marche ou pas, elle se contente de peu le soir. Mais le lendemain, de bon matin, au petit déjeuner, j'ai vu qu'elle avait un bel appétit.

            Nous avons pu discuter un peu plus largement, elle est canadienne, de langue anglaise, mais elle parle bien le français. Je n'ai pas pu m'empêcher de l'interroger sur sa façon de préparer ses gîtes. Tout se fait à l'arrivée de l'étape, m'a-t-elle dit. Je démarche les hébergements du coin, les restaurateurs et autres personnes pour trouver un lit – cela ne me gêne pas de dormir par terre, dans un couloir, m'a-t-elle dit encore. Consacrer de l'énergie pour cette recherche quotidienne, après les kilomètres de la journée, cela m'étonnait quelque peu. Comme je tentais d'aller un peu plus au fond à propos de ce fonctionnement, elle me précisa fermement que c'était un choix délibéré qu'elle entendait appliquer jusqu'au bout. Cette façon de faire un pèlerinage est hautement respectable, mais ce qui ne collait pas, c'est qu'elle était toujours toute fraîche, très propre de sa personne, et très à l'aise. C'est sans doute une question de préparation et de volonté pour réussir un projet. J'ai connu d'autres pèlerins qui étaient volontairement dans une improvisation constante dans tous les domaines ; je pense à cet Allemand qui a traversé la France en diagonale et que j'ai rencontré, un peu avant Pampelune sur le Camino Francès en 2 014. Mais lui était marqué par l'inconfort des nuits, passées parfois dans des granges, et le manque de conditions satisfaisantes pour laver ses affaires. Après Sorges, je n'ai plus revu Marie pendant les 18 étapes qui me restaient jusqu'à Saint-Jean-Pied-de-Port. Mais je pense qu'elle a dû atteindre son but, parce que j'ai déjà marché avec des pèlerins du Canada et particulièrement du Québec, et ils m'ont toujours dit que, là-bas, dans des associations, ils se préparent sérieusement à affronter les difficultés de la vie quotidienne sur les chemins de Compostelle.