Étape
21 : Sorges, 18,2 km : samedi 6 juin 2 015.
Photo :
Tout près de l’église de Sorges.
Résumé
de l'étape :
De façon générale, dans cette petite
étape, le chemin est assez bien balisé, il a manqué parfois quelques balises de
confirmation entre deux points bien signalés, pour rassurer le marcheur, dans
les zones forestières par exemple. Le chemin n'est jamais très loin de la N
21 ; le plus souvent, il fait avancer le pèlerin le long de petites routes
de campagne.
Après le camping hier, je me suis
retrouvé aujourd'hui dans une chambre d'hôtes, et j'ai dîné dans un restaurant
de qualité. En réalité, dans les deux cas, ce n'était pas une décision
préalablement arrêtée : le gîte municipal était complet, la chambre d'hôtes
près de l'église, restait le seul point disponible à portée ; et en ce qui
concerne le restaurant, j'étais bien loin de penser que j'allais débarquer dans
un tel lieu, mais, là aussi, après que je m'en étais rendu compte, il n'y avait
plus la possibilité d'enclencher un plan B. Je ne savais pas en y allant que j'allais
manger au « Bar Auberge de la Truffe » ni que Sorges en Périgord est
considéré comme la capitale mondiale de la truffe noire tuber Melanosporum. Il
n'en reste pas moins que le résultat est un excellent souvenir de ce petit
bourg avant que mon chemin ne me conduise le lendemain dans la grande ville de
Périgueux.
Le
déroulement de l'étape :
Au départ, j'ai pris un petit
déjeuner au bar-restaurant du camping de Thiviers – j'ai même un peu poussé le
serveur à mettre en route sa machine de façon à avoir du thé, et attendu un
petit moment pour qu'il soit livré en pains et autres croissants. Et j'ai fini
par avoir tout ce qu'il me fallait en ce samedi matin. Je me suis même fait
préparer un sandwich pour la route. J'étais le premier à partir et à refaire la
pente jusqu'à la ville qui est toute en hauteur par rapport au camping.
L'escalier final qui y amène débouche presque en face de l'église. Et sur cette
place, il y avait un marché animé ; les gens allaient et venaient d'un
stand à un l'autre. J'ai simplement acheté deux oranges, vu que j'avais de quoi
pour le repas de ce midi dans mon sac.
Et j'ai pris à gauche la grande rue
qui passe devant l'église, mais comme je ne trouvais pas de balise un peu plus
loin alors que j'étais à une fourche, je suis retourné sur mes pas. Arrivant
presque au niveau des premiers stands du marché, j'ai vu Guy assis sur un petit
mur, il renouait les lacets de ses chaussures, l'air nullement pressé, il est
vrai que l'étape du jour est petite. J'ai pris les pages de l'étape dans mon
livre, et j'ai relu attentivement ses préconisations. Je ne m'étais pas trompé
pour le départ : il fallait bien continuer l'avenue Jean-Jaurès, et prendre
ensuite à l'intersection l'avenue A. Croisat. Je n’ai pas tardé ensuite à
retrouver le balisage.
Puis j'ai emprunté différentes voies
communales, longé de petits hameaux, pour rejoindre ensuite la route Napoléon,
que j'ai quittée par des passages dans des bois ou des chemins herbeux à
travers champs. Il n'y avait aucune difficulté.
Je n'ai eu qu'un seul contact avec
la RN 21, pour la traverser et la quitter aussitôt ; et par de petites
routes toujours à travers bois et champs, je suis arrivé à Négrondes, le temps
d'une halte pour manger sur la place de l'église du village était venu. J'avais
entre-temps retrouvé Guy un peu avant ce village.
Ce fut le seul moment de visite dans
cette étape, à une petite église, mais toujours sans avoir rencontré un seul
habitant. Assis sur les marches d'escalier de
cette église, j'ai mangé mon sandwich, tout en contemplant le va-et-vient des
hirondelles qui construisaient leurs nids sous la gouttière d'un toit d'une
grande maison (voir photo). Guy, après avoir englouti avec appétit une boîte de
sardines, s'est délecté de plusieurs petites cigarettes qu'il roule lui-même.
Je n'avais plus rien à faire, j'avais déjà fait une petite visite de l'église, je suis parti. Lui n'avait pas l'air pressé, moi si : je devais
arriver assez tôt pour verrouiller ma place dans une chambre d'hôtes.
Un peu plus loin, j'ai dépassé un
randonneur du coin, je lui ai dit bonjour, il a à peine répondu à mon salut.
J'ai encore emprunté des chemins de terre dans des champs puis le long de
belles petites forêts bien vertes. Et c'est par la D 8 que je suis rentré à
Sorges.
Quand je suis arrivé à l'église de
ce bourg, une chose me préoccupait : il me fallait trouver un peu d'ombre
pour poser mon sac et me reposer. Tout le monde faisait sans doute
la sieste en ce samedi après-midi très bien ensoleillé. Je me devais d'attendre
un peu avant de déranger M. Valentini, sa maison est sur cette même place. La
porte d'entrée de mon hébergement était verrouillée, mais j'avais repéré une
sonnette. J'ai fait un tour dans les environs et je n'ai rencontré personne. Il
n'y avait pas grand-chose à visiter ; j'ai bien vu l'enseigne de la maison de
la truffe, mais le bâtiment était fermé, rien d'anormal pour un samedi
après-midi, et à cette heure !
C'est un peu plus tard que j'ai
sonné à l'entrée. J'ai été accueilli par le propriétaire des lieux qui m'a
emmené à ma chambre, juste à côté de la salle d'accueil. Irréprochable :
de l'espace à ma disposition, et des sanitaires tout à côté. Je ne risquais pas
d'être dérangé ; aussi, après la douche, j’ai fait une bonne sieste.
Les
formalités habituelles à l'étape :
À mon réveil, je suis allé cogner à
la porte de l'habitation principale de M. Valentini, mon habitude est de régler
les formalités habituelles le jour de l'installation et de ne pas le faire le
lendemain matin dans la précipitation du départ. Il est sorti, et nous sommes
restés à l'extérieur où sont disposées des tables et des chaises métalliques ;
et au premier coup d'œil j'ai deviné que toute cette grande cour devait être
hier encore un espace bien organisé avec de nombreuses espèces végétales.
Aujourd'hui, l'âge venant, l'entretien n'est plus du même niveau.
Nous avons un peu échangé, discuté
de nos parcours personnels ; et quand je lui ai dit que je venais de la
Réunion, il a réagi aussitôt : j'ai pas mal bourlingué dans ma vie,
m'a-t-il dit, mais je ne suis pas allé dans cette île ; cependant, je la
connais un peu quand même, ma fille enseigne là-bas... Le monde est
petit ! Et il m'a dit alors presque comme une confidence : il y a un
restaurant près de la nationale, pas loin d'ici, mais il faut réserver. J'ai
pensé à une seule chose sur le moment : j'aurai donc moins d'achats à
faire, moi qui ne pensais qu'à un simple repas pour le soir.
Avant de me quitter, il m'a dit que
je trouverai le lendemain dans la salle d'accueil tout ce qu'il faut pour un
petit déjeuner, en produits et en matériels, y compris un micro-onde pour les
boissons chaudes et un réfrigérateur pour les jus de fruits et les produits
laitiers.
Quand je l'ai quitté, ma pensée
était surtout centrée sur la réservation au restaurant ; pour moi, c'était
alors un peu comme sur tous les chemins de Compostelle : réserver vite
pour le premier service, car autrement, il faut attendre le suivant, et c'est
autant de temps pris sur la nuit de repos.
Un
tour dans le village :
La question de la chambre d'hôtes
étant réglée, je suis sorti faire mes achats ; l'étape du lendemain étant plus
longue, il me fallait avoir un peu plus de munitions dans mon sac, mais je ne
savais pas où trouver un commerce d'alimentation. À côté de l'église, j'ai vu
le refuge municipal et un homme, vraisemblablement l'hospitalier, était sur le
pas de la porte. Je me suis dirigé vers lui, et il m'a dit d'entrer dans la
salle d'accueil. Je suis tombé sur toute l'équipe de pèlerins des étapes
précédentes. Mieux : ils étaient dans une petite fête improvisée. Il y avait là Alain et son groupe, Jean-François et Guy, mais aussi
Xavier que je n'avais pas revu – Simone devait sans doute se reposer dans le
dortoir. Et je me suis vite retrouvé un verre à la main, car ils fêtaient
l'anniversaire d'Ole, le Danois – ma mémoire se fait plus précise : c'est
bien un Danois !
Sans aucun doute, Alain et Core
étaient en plein dans la préparation d'un bon repas pour la circonstance. Avec
l'hospitalier, j'ai eu toutes les informations pour aller au restaurant que
m’avait recommandé M. Valentini, et au magasin d'alimentation qui se trouve
dans les environs immédiats.
Je suis passé d'abord au restaurant,
et j'ai été surpris de voir l'animation qu'il y avait déjà à cette heure, de la
qualité du bureau d'accueil, et des personnels de service, bien habillés, qui
s'affairaient dans les couloirs. Cette partie de l'accueil, je l'ai trouvée un
peu richement aménagée pour un restaurant sur le chemin, mais dans ma tête,
c'était la partie hôtel associée qui me donnait cette impression. Ma
réservation a été enregistrée en moins de deux, et je suis parti faire mes
achats.
J'ai
trouvé un magasin où il y avait de tout, et de la qualité, y compris pour les
fruits ; j'ai pu aussi prendre une bière fraîche. J'avais alors ce qu'il
me fallait pour l'étape du lendemain, je pouvais retourner à ma chambre et
attendre un peu avant d'aller dîner.
Une
stratégie à table dans un restaurant chic :
Quand je suis arrivé à l'accueil du
restaurant, une hôtesse m'a tout de suite emmené dans la salle à manger. Au
premier regard, j'ai compris que j'étais dans un cadre exceptionnel :
d'abord, l'hôtesse m'a demandé de choisir une table ; ensuite, outre la
beauté de la salle en elle-même, la qualité des nappes toutes blanches et des
couverts sortait vraiment de l'ordinaire ; et enfin les habits des quatre
clients qui avaient déjà commencé à manger montraient bien que je n'étais pas
du tout dans un restaurant de pèlerins. J'ai eu alors une hésitation sur la
suite à tenir, mon habillement, savates deux doigts, pantacourt, T-shirts et
polaire, était bien loin d'être adapté à l'environnement ; de plus, je
n'avais même pas un peigne sur moi pour me coiffer après avoir retiré mon chapeau.
Je me demandais s'il ne fallait pas tout simplement renoncer à manger à cet
endroit, quitte à prétexter un malaise et même à payer quelque chose.
Heureusement que la salle était encore presque vide, et que je n'avais pas
braqué sur moi X paires d'yeux au minimum très interrogatifs quant à ma
présence en ce lieu – je ne suis jamais dans la provocation, quelles que soient
les circonstances.
Deux éléments m'ont rassuré et ont
fait que je me suis décidé à jouer le jeu, à aller jusqu'au bout : Les
hôtesses me regardaient comme si j'étais en complet-cravate ; j'étais à
peine assis que l'une d'elles est venue me donner la carte, en me conseillant
certains plats, et en me précisant bien que j'avais tout mon temps. D'autres
membres du personnel qui circulaient dans la salle n'ont pas manqué de me
saluer en passant près de ma table. C'étaient vraiment des professionnels, bien
formés à leur métier, et j'ai tout de suite pensé au restaurant près de la
cathédrale de Limoges où j'ai dû insister en plusieurs fois pour être servi
correctement ; c'est ce qui m'a donné aussi une certaine assurance en me
disant que la comparaison serait intéressante sur plusieurs points.
Psychologiquement, j'avais renversé la situation.
Outre le cadre et le personnel, la
carte donne vite une idée de la qualité de ce restaurant : tout tourne
autour de la truffe du Périgord et autres produits de la gastronomie locale, et
les prix sont aussi à la hauteur de la qualité des menus. J'ai donc joué pour
ne pas grever mon budget tout en restant dans le local, et j'ai commandé
globalement mon menu, en évitant de prendre une entrée : un kir cassis en
apéritif et des trucs pour grignoter, un confit de canard en plat principal et
une glace aux noix, le tout arrosé d'un Bergerac rouge. Extra ! Mais il y
a eu un « sacrilège » : dans ce « temple », je n'ai
pas choisi de plat à la truffe noire tuber melanosporum du Périgord, pour une
question de prix. Cela ne m'a pas trop gêné, je n'ai pas l'habitude d'en
manger, et dans ma mémoire des goûts, je ne trouve plus de trace de cette
saveur. Je pouvais m'en passer sans problème – j'aurais dû peut-être commander
une salade relevée par des fines lamelles de truffe coupée, pas trop chère,
rien que pour « respecter » un peu cet établissement de Sorges qui est – et je
l'ai découvert plus tard – l'une des institutions de l'hôtellerie-restauration
de la région avec ses recettes à la truffe.
Pendant mon repas, j'ai été
réconforté par l'arrivée du couple d'Allemands rencontré plusieurs fois sur le
chemin, mais tous les deux étaient assez bien habillés. Nous avons parlé des
choses et d'autres malgré la barrière des langues. Finalement, j'ai fait un bon
repas – le confit de canard est extra, c'est un plat qui se laisse
manger ; chaque fois que j'ai marché dans le Sud-Ouest de la France, je
n'ai jamais raté l'occasion de me faire plaisir.
En sortant du restaurant, j'étais
extrêmement bien, mais j'ai renoncé à passer au gîte municipal pour voir mes
amis qui étaient dans leur petite fête. Et j'ai bien fait, car j'ai longtemps
discuté avec la Canadienne que j'ai découverte à mon retour dans l'accueil de
la chambre d'hôtes.
Marie
la Canadienne : voir photo.
Avant le restaurant, j'avais entrevu
la Canadienne, le jour tirait sur sa fin et elle n'avait pas encore trouvé un
toit pour la nuit. Mais elle ne s'en inquiétait pas, elle continuait à chercher
– j'avoue ne pas avoir un tel sang-froid : quand ma réservation est faite,
je m'efforce de ne pas rentrer trop tard pour le cas où surgirait un problème
de façon à avoir suffisamment de temps pour y faire face. En rentrant après mon
excellent repas, je l'ai découverte à l'accueil qui servait aussi de salle à
manger. Ce qui veut dire qu'a Sorges même, le gîte municipal étant plein, il ne
restait que cette chambre d'hôtes comme solution d'hébergement.
Quand je dis manger, en fait, Marie
picorait ; il y avait 3 ou 4 petits papiers ouverts devant elle, et sans
dire du mal, je l'ai vue un peu comme un oiseau qui piquait des graines en
passant d'un papier à l'autre. Comme M. Valentini ne fait pas table d'hôte, et
si elle avait utilisé son temps à chercher un toit, il ne lui restait plus le
soir qu'à taper dans ses réserves de marche. J'étais sur le point de lui dire
que je pouvais lui donner un quelque chose de plus consistant, mais je ne l'ai
pas fait parce que je ne la voyais pas du tout exténuée, affamée, mais plutôt à
l'aise. Au camping de Flavignac, deux jours avant, je n'étais pas à côté d'elle
le soir à la petite table, je ne l'ai pas vue manger, peut-être que dans la vie
de tous les jours, temps de marche ou pas, elle se contente de peu le soir.
Mais le lendemain, de bon matin, au petit déjeuner, j'ai vu qu'elle avait un
bel appétit.
Nous avons pu discuter un peu plus
largement, elle est canadienne, de langue anglaise, mais elle parle bien le
français. Je n'ai pas pu m'empêcher de l'interroger sur sa façon de préparer
ses gîtes. Tout se fait à l'arrivée de l'étape, m'a-t-elle dit. Je démarche les
hébergements du coin, les restaurateurs et autres personnes pour trouver un lit
– cela ne me gêne pas de dormir par terre, dans un couloir, m'a-t-elle dit
encore. Consacrer de l'énergie pour cette recherche quotidienne, après les
kilomètres de la journée, cela m'étonnait quelque peu. Comme je tentais d'aller
un peu plus au fond à propos de ce fonctionnement, elle me précisa fermement
que c'était un choix délibéré qu'elle entendait appliquer jusqu'au bout. Cette
façon de faire un pèlerinage est hautement respectable, mais ce qui ne collait
pas, c'est qu'elle était toujours toute fraîche, très propre de sa personne, et
très à l'aise. C'est sans doute une question de préparation et de volonté pour
réussir un projet. J'ai connu d'autres pèlerins qui étaient volontairement dans
une improvisation constante dans tous les domaines ; je pense à cet
Allemand qui a traversé la France en diagonale et que j'ai rencontré, un peu
avant Pampelune sur le Camino Francès en 2 014. Mais lui était marqué par
l'inconfort des nuits, passées parfois dans des granges, et le manque de
conditions satisfaisantes pour laver ses affaires. Après Sorges, je n'ai plus
revu Marie pendant les 18 étapes qui me restaient jusqu'à
Saint-Jean-Pied-de-Port. Mais je pense qu'elle a dû atteindre son but, parce
que j'ai déjà marché avec des pèlerins du Canada et particulièrement du Québec,
et ils m'ont toujours dit que, là-bas, dans des associations, ils se préparent
sérieusement à affronter les difficultés de la vie quotidienne sur les chemins
de Compostelle.