mercredi 18 décembre 2019


Étape 22 : Périgueux, 22,8 km : Dimanche 7 juin 2 015.




Résumé de l'étape :

            Périgueux est la dernière grande ville de plus de 30 000 habitants sur la voie de Vézelay avant Saint-Jean-Pied-de-Port, et je n'ai fait que la traverser pour aller à mon hébergement à la périphérie de cette agglomération du Périgord.

            Dans cette étape, j'ai surtout retenu le long passage dans la forêt domaniale, et, avant de retrouver la dernière départementale, j'ai cheminé dans des zones aménagées pour des activités sportives et de détente. Des balises de l'association de Compostelle locale qui viennent parfois compléter celles du GR ont fait leur apparition, avec des manquements à des passages importants voire des contradictions quant à l'utilisation du logo européen jaune et bleu : le positionnel ou le directionnel ? Un vrai débat sur la pratique et la collaboration des associations jacquaires ! 
Le déroulement de l'étape :

            La nuit à la chambre d'hôtes de Valentini a été parfaite, mon sommeil n'a pas été troublé par le moindre bruit, et c'est en forme que je suis passé de bon matin à la salle d'accueil pour prendre mon petit déjeuner. Le dispositif prévu par le logeur était à la hauteur.

            Quand je suis parti, vers les 7 h, en ce dimanche, Marie la Canadienne était encore attablée ; et je suis sorti du village de Sorges sans avoir rencontré un seul de mes amis qui étaient au refuge municipal.

            Sur l'étape dans son ensemble, mon « Lepère » indiquait que 85 % de cette étape pouvait se faire par des petits sentiers en forêt, mais qu'il était possible d'aller plus vite en prenant la « route Napoléon », ce que montre le plan au premier coup d'œil, mais le balisage étant assez bon, j'ai pris le chemin dans la campagne.

            Donc, dans la première partie, après avoir rejoint la N 21, je suis passé par de petits bourgs tranquilles, après avoir côtoyé des vergers de noyers ou de châtaigniers ; les élevages d'oies rencontrés rappellent bien aux marcheurs qu'ils sont dans le Périgord. C'est ainsi que j'ai traversé ou contourné les bourgs de Bizol, de Rebeyrie, et d'autres petits villages.

            Mais la partie la plus intéressante voire un peu impressionnante quand même puisque je marchais seul a été la traversée de la « forêt domaniale » : cette large piste forestière, interminable en raison du manque de balise de confirmation, surtout quand un balisage local (bleu et jaune), coquille stylisée ou flèche, prend le relais de celui du GR (blanc et rouge), fait toujours penser à un possible manque de vigilance et à la possibilité d'une erreur de parcours. Mais les belles portions toutes droites sont aussi reposantes. Cependant, j'ai été content d'en finir et de rejoindre la D 69.

            Au lieu-dit La Meynie, j'ai retrouvé la D8. Avant la grande route, pendant un bon moment, j'ai traversé des zones aménagées en camping, en circuits de balade ou de jogging, bien fréquentées en ce dimanche – au fur et à mesure que je me rapprochais de la ville, je rencontrais de plus en plus de citadins souvent en groupes qui s'adonnaient à leurs activités sportives ou de détente du week-end. Nous échangions même parfois des petits mots de bonne continuation.

            Ce fut ensuite la grande route  dans une longue et légère descente en zone urbanisée vers Périgueux, au cours de laquelle Jean-François a fait son apparition – je ne suis pas sûr que nous ayons auparavant fait exactement le même trajet ; d'ailleurs, par habitude, il trace son propre chemin.

            Il marchait vite devant moi, et à un moment, je l'ai vu prendre une route à gauche, alors que le balisage indique toujours de continuer la descente. Et l'homme est entré tout de suite dans une boutique d'alimentation ; je l'ai suivi, car c'était l'occasion de faire des provisions pour la suite : j'ai pu ainsi acheter du jambon, du saucisson et du fromage ; et mieux encore : dans une boulangerie juste à côté, j'ai pris un gros pain rond, de quoi tenir le soir, et le lendemain sur la route.

            Plus bas, au rond-point de l'hôpital, nous avons continué à descendre tout droit et nous avons dépassé la Maison diocésaine.

            Arrivés à un grand rond-point, nous savions la cathédrale proche, mais un besoin de bons repérages se faisait sentir dans cette grande ville, la dernière de cette importance sur le reste du parcours jusqu'aux Pyrénées. Justement, à un petit square, près d'un parking, un affichage plan public sur panneau inaltérable a attiré notre attention.

Mon hébergement à Périgueux :

            Nous avions marché ensemble dans la dernière partie de cette étape, mais sans que nous ayons échangé un seul instant sur la question de l'hébergement ; j'avais, par Alain, une réservation à une chambre d'hôtes presque à la périphérie de la ville, mais je ne savais pas où Jean-François comptait crécher ce soir-là. C'était sa liberté !

            En tout cas, naturellement, quand nous avons aperçu non loin du trottoir un plan de la ville, j'en ai bien un dans mon livre, mais il est un peu ramassé sur le centre de l'agglomération, je me suis dit que tout allait s'éclairer sur la suite. J'ai l'habitude de mettre en route ma connexion Internet sur mon Iphone qu'à la dernière extrémité, le but est de réserver prioritairement l'énergie de la pile aux photos et aux communications téléphoniques. Non loin de ce panneau se trouvait aussi le couple d'Allemands que je retrouvais souvent sur le chemin.

            J'étais en train d'essayer de me caler sur ce plan quand j'ai vu une femme revenir sur nous alors qu'elle venait de nous dépasser. D'elle-même, elle a commencé à vouloir comprendre dans quelle situation nous nous retrouvions tous les deux. Jean-François : son but déclaré était la cathédrale – avait-il quelque chose en vue dans ses environs ? Il en était tout près. C'était bien différent pour moi : après avoir donné à cette dame l'adresse précise qui m'intéressait, 12 rue du Docteur-Calmette, en précisant bien dans la continuité du chemin de Compostelle qui traverse la ville, elle m'a demandé de venir avec elle : je rentre chez moi, je vais faire un bout de chemin avec vous, et au rond-point qui est plus loin, je vais vous donner la direction principale, m'a-t-elle dit. Elle avait déjà fait ce chemin de Compostelle.

            Arriver dans cette grande ville de Périgueux, un dimanche après-midi où il n'y a pas grand monde dans les rues et tomber sur une pèlerine du coin qui vient spontanément m'aider à trouver mon hébergement, cela relève un peu de l'extraordinaire. Merci Saint-Jacques !

            Elle me précisa après le rond-point : vous êtes dans la rue Victor Hugo, et vous devez aller jusqu'au bout... et au fond, sur votre droite, vous prendrez la rue Jules Ferry et après quelques rues traversées, vous trouverez celle du Docteur Calmette. Je ne crois pas qu'elle ait un plan détaillé de sa ville en tête, elle doit certainement entretenir des relations avec des pèlerins du coin, ce qui fait qu'elle est capable de situer les principaux lieux d'accueil.

            La subtilité que je n'avais pas saisie tout de suite sur mon plan, c'est que le chemin au fameux rond-point descend pour aller à la cathédrale, et y retourner afin de repartir et quitter la ville par la rue Victor Hugo, laquelle est aussi la D 939, me paraissait quelque peu bizarre.

Elle n'en finissait pas cette rue « Victor Hugo » ; ne voyant pas arriver « Jules Ferry », j'ai fini dans un quartier par entrer dans un bar-restaurant qui était sur le point de fermer en ce dimanche ; le serveur m'a dit, en faisant un geste de la main : votre rue, elle est juste là ; et, au fond, vous trouverez la rue du Docteur Calmette.
 Un peu plus loin dans cette rue légèrement montante, en passant devant le porche d'un immeuble, j'ai entendu quelqu'un m'appeler. J'ai tourné la tête, c'était une vieille dame qui attendait que sa famille vienne la chercher ce dimanche : vous allez à la chambre d'hôtes d'à côté, m'a-t-elle dit. Marie-Joseph Lachal semble être bien connue dans le quartier. Elle est hygiéniste naturopathe, et ses activités couvrent une large palette : consultations naturopathes, exercices physiques, massages, cours de cuisine, etc. Je ne pouvais que constater que mon chemin se trouvait bien « balayé » au fur et à mesure que j'avançais. Pas de doute : Saint Jacques y veillait !

Une 2e blessure à la main : un signe négatif ?

            Le groupe de maisons correspondant à l'adresse indiquée ne donne pas sur la rue elle-même, il en est assez éloigné. Le chemin d'entrée mène à une cour entourée de bâtiments et de jardins ; mais comme Alain m'avait parlé du chien de la propriétaire dont il faut malgré tout se méfier, je ne suis pas entré directement dans la cour, j'ai préféré attendre un peu à l'entrée. Au bout d'un certain temps, j'ai remarqué qu'une autre voie permettait de contourner l'entrée principale, en passant auprès d'un petit garage tout neuf où j'ai découvert une affichette invitant les marcheurs à continuer sur cette petite voie. Elle menait à un autre bâtiment, le refuge attendu. La porte n'était pas verrouillée, je suis entré.

            Au premier niveau du rez-de-chaussée, du matériel de travail pour la naturopathe dont une table de massage dans une salle spécialisée ; à un 2e niveau, une salle à manger, qui donne sur une espace cuisine, d'où part un escalier de bois permettant de grimper jusqu'à un autre espace aménagé sous le toit : un petit dortoir.

            Je n'ai pas voulu m'y installer tout de suite, je préférais attendre l'arrivée des autres. J'ai déposé mon sac au premier niveau – j'ai même voulu sortir pour découvrir tout le terrain à l'arrière de ce bâtiment qui est encore plus ou moins en friche.

            J'ai donc appuyé sur la barre qui sert à déverrouiller la porte par une simple pression, mais elle résistait car elle était coincée ; j'ai essayé avec ma main gauche de mettre un peu de pression au niveau de l'articulation du système qui s'est débloqué tout d'un coup. Et en revenant à sa position initiale, la partie métallique de cette articulation m’a carrément arraché un bon cm² de peau à la face interne de la phalange proximale de mon index gauche – et le sang a jailli aussitôt, maculant le carrelage près de la porte. 

            C'est la deuxième fois que je me blesse à un doigt sur ce chemin – la première fois, c'était lors de ma 2e étape, dans la forêt de Champlemy, et il me suffisait de refaire les mêmes gestes : appliquer fermement sur la blessure un mouchoir de papier pour arrêter l'hémorragie, et le maintenir avec le pouce ; prendre dans le bonnet de mon sac le petit sachet trousse où se trouve tout ce qu'il faut pour un pansement rapide. J'ai enlevé ensuite le sang sur les carreaux du séjour, si tant est qu'il fût possible dans ces conditions de faire un nettoyage correct dans le séjour de cette maison. J'ai bien consolidé le pansement avant de passer sous la douche. Et ce n'est qu'après mon installation que j'ai refait un vrai pansement pour la nuit.

            Fallait-il y voir un petit signe négatif ? Après Champlemy, pendant la marche, je tenais mon bâton à gauche avec le pouce blessé relevé, la question maintenant était de savoir si je pourrais adopter le même positionnement avec mon index pour éviter des pressions sur la blessure. La nature est bien faite, une main reste fonctionnelle avec quatre doigts, tout est une question d'adaptation. 

            J'ai appris sur le chemin que s'il faut anticiper sur les difficultés, il faut aussi savoir fixer son attention sur ce qui se vit sur le moment. Si signe il y a eu, c'était peut-être pour montrer que rien n'est jamais acquis, que tout doit être remis sur le métier, en ne perdant pas de vue « la dimension verticale du chemin ».

            Ce n'est qu'après l'arrivée du groupe d'Alain que j'ai choisi mon lit au dortoir, après avoir fait une constatation : il faisait très chaud sous ce toit, mais pour autant je n'ai pas voulu ouvrir une lucarne d'aération hautement perchée, pour ne pas risquer de me déchirer encore la main.

Un pas de plus dans l'intégration au groupe d'Alain :

            J'avais descendu du dortoir mon ravitaillement pour mon dîner alors que les autres commençaient à se lancer dans leur cuisine habituelle quand Alain me demanda si je voulais manger avec eux. J'ai accepté bien volontiers, et j'ai mis la moitié de mes victuailles à la disposition de tout le monde, l'autre moitié étant pour l'étape du lendemain. Je leur ai dit que, pour aujourd'hui, je ne pouvais pas prendre une part à la vaisselle compte tenu de ma blessure.

           La salle à manger est assez grande, et en attendant que le repas soit prêt, Alain et Cor étant à la manœuvre, Ole a fait une petite démonstration de ses talents d'artiste, dans son domaine professionnel : il nous a présenté différents types de décoration qu'il exécute sur ses pâtisseries – il est pâtissier de son état
. C'est que sur tout un pan du mur, il y a un tableau noir, qui doit aussi servir de classique outil de travail à Marie-Joseph, l'éducatrice de santé, et suffisamment de craies sont à la disposition des pèlerins pour qu'ils puissent présenter leurs créations et laisser des messages sur place (voir photo). D'ailleurs, sur ce même support, la responsable du gîte nous en a laissé un message.

            Nous étions bien dans ce cadre, il y avait un esprit de corps dans ce groupe que je fréquentais depuis quelques jours, mais il manquait Jean-François, Guy, et d'autres encore. C'est la vie sur le chemin, tout bouge, tout se fait et se défait ; chacun se remet en cause, se reconstruit... Une évolution perpétuelle.

            Nous avons fait un bon repas, Alain et Cor ont un bon savoir-faire, et même du talent dans ce domaine.

            La première partie de la nuit a été difficile en raison de la chaleur quoique Cor en faisant preuve d'acrobatie ait réussi à ouvrir une petite fenêtre du toit, mais aussi parce que Ole nous a fait pour la première fois une démonstration de ses talents de ronfleur. Dans la 2e partie de la nuit, la température ayant baissé et Ole ayant terminé sa « prestation musicale », j'ai pu vraiment me reposer.