mardi 29 octobre 2019


Étape 17 : Limoges, 23 km.

Photo : La cathédrale Saint-Etienne à Limoges.



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Résumé de l'étape :

            Nous sommes toujours dans le département de la Vienne, et le but du jour est la cathédrale Saint-Etienne à Limoges que les pèlerins atteignent après avoir traversé le petit pont historique sur la Vienne ; cette rivière est l'un des principaux affluents de la Loire. Ici, cette dénomination de « via  Lemovicensis » s'éclaire : Limoges est en effet un point important sur le chemin vers Saint-Jean-Pied-de-Port, point de départ du Camino Francés qui mène à Santiago de Compostelle.

            La réservation ayant été faite par téléphone la veille, Françoise et moi étions à L'accueil des Soeurs de Saint François, 1 place de l'Évêché, tout près de la cathédrale (voir photo).

            Cette étape, après une première moitié dans la belle campagne limousine, est caractérisée dans sa deuxième moitié par un long cheminement en pleine agglomération ; elle s'est révélée finalement moins embêtante, à considérer les inconvénients de circulation que laissait entendre mon livre guide.   La petite zone aménagée sur une rive de la rivière à l'approche de l'arrivée, d'où une vue montante permet de découvrir d'un coup la cathédrale qui domine le paysage, fut même des plus agréables.

Le déroulement de l'étape :

            Pour quitter la place de la collégiale de Saint-Léonard-de-Noblat, nous avons pris la rue qui passe contre le bâtiment où se trouve notre gîte. Et un peu plus bas nous avons hésité sur le point de franchissement de la Vienne. Nous avons fait une partie d'une grande rue périphérique et il nous a fallu revenir sur nos pas. Nous sommes passés ensuite sur le D 941, puis sur la D 65. Après le hameau de Lafont, nous avons pris la direction d'Aureil, et plus loin tourné à gauche pour monter une route très pentue. Elle passe devant une école toute neuve que j'ai trouvée bien silencieuse.  Ce fut ensuite une petite halte à l'église d'Aureil où nous avons revu Jean-François – il avait choisi un itinéraire qui évite Limoges, d'ailleurs nous ne devions plus le revoir au cours de cette étape puisque sa destination était Solignac. Après l'église, nous avons continué à monter en passant près du château du village, d'un aspect quelconque vu de l'extérieur, nous n'avions pas non plus cherché à le visiter.

Au sommet, nous avons pris un charmant petit chemin dans les bois, où au départ des aménagements ont été faits. C'est une voie empruntée depuis toujours : présence d'une croix très ancienne, d'une fontaine et d'une grosse pierre résultat de fouilles. Plus haut, ce chemin nous a permis de rejoindre la D 979, la dernière partie étant assez pentue. Nous avons pris ensuite la direction de Laubaudie

            Plus loin, nous sommes sortis de la campagne où nous avons traversé des petits hameaux, et nous avons débouché tout d'un coup dans une zone urbanisée. Nous étions à Feytiat. Nous avons eu alors quelques hésitations : le balisage étant à cet endroit plus que léger, j'ai dû sortir mon livre afin de serrer de près ses indications.

            Et de rond-point en rond-point, nous avons fini par atteindre la grande route qui descend vers Limoges. Beaucoup de circulation, beaucoup de bruit, mais le trottoir est sécurisé, à quelques passages de rond-point près où il faut redoubler de vigilance (voir la photo).

            En suivant le balisage, nous avons quitté cette grande voie pour cheminer dans un petit bois sur les pentes qui mènent à la vallée de la Vienne, et ainsi nous avons rejoint un chemin de promenade bien aménagé sur la rive de cette rivière que nous avons franchie par le pont Saint-Étienne.
C'est dans ce petit sentier, alors que nous venions de faire une petite erreur de parcours, que nous avons vite corrigée, car elle nous menait à une impasse – il n'y avait aucun risque de grandes balades hors chemin –, que nous avons vu Alain, Core et Ole, nos amis d'hier soir, revenir sur nous, à grands pas. Ils ont traversé devant nous le pont Saint-Etienne sur la Vienne (voir photo). C'est avec eux que nous avons fait la toute dernière partie de cette étape : le balisage est net dans ce quartier de la vieille ville, et par de petites rues très pentues nous sommes arrivés sur la place de la cathédrale. Ces trois-là qui paraissaient en recherche d'un gîte (voir photo) ont opté pour un autre hébergement que le nôtre puisque nous ne les avons plus revus jusqu'au soir – la ville de Limoges en compte pas mal dans ce domaine. Nous ne nous sommes pas concertés sur ce point ; chaque pèlerin cultive sa liberté de construire son propre chemin.

            Nous avons dû attendre un peu avant d'aller nous installer dans le gîte des religieuses, qui se trouve justement sur cette place. Il nous fut répondu que la sœur responsable était occupée mais qu'elle n'allait pas tarder à nous recevoir.

Un gîte paradisiaque :

            Dieu que ces vieux bâtiments sont bien aménagés ! Par un escalier très étroit, en spirale, la sœur responsable de l'hébergement, sobre dans ses gestes et dans ses mots, nous a conduits au 2e étage : des chambres sur notre gauche en y arrivant, et, à droite, les sanitaires et une salle à manger avec une partie pour petite cuisine. Tout est propre et bien.

            Nous savions que l'essentiel du temps dont nous disposions avant la nuit devait être consacré à la cathédrale, au jardin de l'évêché, et ensuite à un restaurant, sur une petite place non loin de notre gîte. Il n'était pas question d'entreprendre une visite plus large de cette grande ville qu'est Limoges. Il y a tellement de lieux sur les différents chemins que j'ai empruntés où je me suis dit que je me devais d'y revenir un jour...

La visite de la cathédrale et des jardins de l'évêché :

            C'est comme toutes les cathédrales que j'ai visitées sur les chemins de Compostelle, que ce soit en France ou en Espagne ; lors d'une visite, seuls quelques éléments sont saisis et appréciés, et le sentiment qui prime est la grandeur des bâtiments qui ressemblent à de gigantesques navires destinés à traverser l'infini du temps, qui dominent les territoires aux alentours, et qui montrent ainsi que l'homme n'est pas grand-chose dans l'univers. Impossible alors de ne pas faire référence à Dieu, un mot qui il est vrai n'est pas souvent prononcé sur les chemins. Le domaine réservé de beaucoup de pèlerins. (Voir photo, photo et photo)

            Dans cette partie déjà faite de la voie de Vézelay, la cathédrale de Bourges m'a semblé bien plus imposante ; mais ici, l'ensemble de la place, par sa situation géographique, avec tous les bâtiments de l'évêché et des jardins, est tout à fait extraordinaire. L'entretien de tout ce cadre doit demander beaucoup de moyens, d'énergie, de persévérance !

            J'avais de la chance, Françoise connaissait les lieux ; et c'est elle qui m'a présenté l'espace jardin (voir la photo) – nous avons fait juste une petite entrée dans le musée des Beaux-Arts, de l'autre côté de la cathédrale, nous n'avions pu que jeter un œil à l'accueil, les autres salles étant fermées.

Un assez bon dîner, mais un petit énervement au restaurant :

            Le soir, nous avons fait un assez bon dîner ; nous avons mangé en plein air. Toutes les tables sont sur cette petite place, c'est aussi plus ou moins le cas pour les autres établissements en ce lieu.

            Il faisait bon, il faisait encore jour, et nous étions les seuls à demander à être servis à cette heure. La bonne surprise fut que la serveuse n'y a vu d'emblée aucun inconvénient. Mais à la fin du repas, alors que j'avais commandé un verre de vin supplémentaire, j'ai eu la désagréable impression qu'il y avait comme une résistance dans le service – j'ai dû insister pour l'avoir.

            J'ai déjà eu l'occasion de mettre l'accent auprès d'enseignants de LEP Hôtellerie, et de certains responsables d'établissements dans ce domaine, de l'importance à faire passer un principe de base à leurs élèves : c'est le client qui est roi, et ce quel que soit le lieu, y compris sur les grandes places touristiques ! Un consommateur, fût-il déguisé en pèlerin, et sans qu'il y eût le moindre comportement pouvant troubler en quoi que ce soit la quiétude d'un lieu public, devrait pouvoir manger normalement, dans le respect de ce principe.

            Il en a été de même pour payer le repas : j'ai dû aller le faire à la caisse, près du bar, à l'intérieur du bâtiment ; et je me suis alors permis une remarque au caissier : si vous ne voulez pas de mon argent, je n'y vois aucun inconvénient. Sur un ton mesuré, mais ferme. Il n'y a eu aucune réponse de sa part. Mais, si j'étais simple touriste, avec certains de mes amis, et donc en dehors du chemin de Compostelle, je crois qu'il y aurait eu une autre tonalité à l'ambiance de ces moments.

            Ce que je n'ai peut-être pas saisi, c'est qu'il y a eu entre-temps un changement dans le service, et que la nouvelle équipe était assez lente au démarrage. Mais je reste persuadé, qu'en toutes circonstances, ce n'est pas au client de s'adapter, c'est au service de la maison à le faire. Pour ces personnels, une question de métier ; en aucun cas, une atteinte à la dignité des travailleurs. Et cela vaut dans le privé comme dans le public.

            Ce qui est extraordinaire, et qui a effacé ce mauvais souvenir, c'est que j'ai eu l'occasion 4 jours plus tard, dans ma 21e étape, à Sorges, de me retrouver dans une situation totalement à l'opposé – j'aurai donc l'occasion d'en reparler dans les détails – et où dans un restaurant, j'avais presque envie de dire : c'est bon, ne vous occupez pas de moi, ça va très bien ! Et dans un cadre que je n'avais vraiment pas choisi !

            Mais Françoise et moi avions quand même bien mangé, et nous avons regagné notre gîte alors qu'il ne faisait pas encore complètement noir. Je voulais surtout passer une bonne nuit, car une longue étape m'attendait le lendemain, près de 29 km pour aller à Flavignac. Quant à Françoise, elle devait décrocher à 6 km de ce but, à Saint-Martin-le-Vieux où Jojo l'attendait ; il est vrai qu'elle avait déjà programmé un autre temps dans sa mission d'hospitalière sur la voie du Puy.

L'église, et l'enfer ?

            Rien ne laissait présager que la nuit allait être difficile ; les conditions de logement étaient parfaites, et, pourtant je n'ai pas beaucoup dormi.

            J'ai été réveillé par la chaleur épouvantable qui régnait dans la chambre. Il n'y avait qu'une explication à mes yeux : tout cet espace avec la cathédrale, les dallages de la grande place et les pans des murs aux alentours, est en granite, et la roche la nuit restitue la chaleur emmagasinée pendant la journée, et ce d'autant que le soleil avait bien brillé. À un moment donné je suis allé ouvrir la fenêtre, mais elle était déjà entrebâillée. Il a fallu patienter, faire de petits exercices respiratoires et attendre que le sommeil revienne. Je pense m'être reposé un peu quand vers les 3-4 heures du matin, j'ai été à nouveau réveillé par de gros éclats de voix venant de la place de la cathédrale – la fenêtre de la chambre donne sur cette place. Cette grande boîte en granite est aussi une bonne caisse de résonance : des jeunes, et aussi des clochards – à en juger par le ton des voix et les échanges –, se disputaient à haute voix, se battaient peut-être, sans doute pour une question de territoire, de liberté, et il n'était pas possible de s'isoler de tout ce tintamarre à cause de la chaleur. Ces beaux jardins de l'évêché doivent être un excellent lieu de rendez-vous pour toutes sortes de noctambules, des fêtards de tous acabits aux SDF. Mais qu'est-ce que cela doit être un week-end en plein été ?

            Mais je ne suis pas allé jusqu'à penser que le bon Dieu, dans son infinie sagesse, avait caché l'enfer tout près de l'église. J'ai réussi quand même à filtrer à peu près ce bruit, à retrouver un petit sommeil ; j'aime à croire que les prières de Françoise en ont été pour quelque chose. Elle est pratiquante, si j'en juge par une attitude sereine et constante : À l'abbaye de Sarrance en 2 013, dans la vallée d'Aspe, sur la voie d'Arles, elle était la seule à assister à la messe ; ici, à Limoges, elle est allée s'asseoir non loin de l'autel, pour prier aussi. Sans sa présence, je me serais peut-être retrouvé aux portes de... Plus sérieusement, nous n'avons jamais discuté religion, c'est d'ailleurs un sujet qui reste le plus souvent dans le for intérieur de la plupart des pèlerins.

dimanche 20 octobre 2019


Étape 16 : Saint-Léonard-de-Noblat.


Photo : J'arrive à Saint-Léonard-de-Noblat.


Résumé de l'étape :

            Une belle petite étape en Haute-Vienne, par beau temps. Et d'autant que le paysage est moins vallonné que dans la Creuse, mais avec quand même quelques casse-pattes. J'ai aussi retenu une montée des plus boueuses en forêt dans la matinée.

            Saint-Léonard est une petite cité religieuse. J'étais au refuge, situé au centre bourg, et à côté de la collégiale où se trouvent les reliques du saint. J'y ai passé de bons moments avec des pèlerins rencontrés lors des étapes précédentes.

Françoise et Jojo, au rendez-vous :

            J'étais le premier réveillé, et j'ai pris mon petit-déjeuner tout seul : La responsable du gîte avait posé sur une table dans la salle d'accueil tout le nécessaire : une bouilloire électrique, du thé, des biscuits, du sucre, du beurre et de la confiture, etc. J'avais rendez-vous avec Françoise, la pèlerine, à 7H30, mais j'ai eu un peu de retard parce que j'ai dû attendre qu'Alain descende de sa chambre pour lui remettre la solution d'arnica qu'il m'avait prêtée à Bénévent-l'Abbaye. Ce n'est qu'à 7H45, que j'ai passé la porte du gîte pour aller sur la place de l'église des Billanges. Et ce fut une surprise de voir plantés devant le portail Françoise et son mari Jojo. C'était le même scénario qu'à Oloron en 2 013, sur la voie d'Arles, qui se reproduisait – les deux étaient en avance au point de rendez-vous. Françoise, sac au dos, a toujours la forme, et un Jojo qui ne vieillit pas. Françoise venait faire avec moi trois étapes.

            Sans tarder, elle et moi avions pris le balisage dans la rue près de l'église ; nous avons revu Jojo deux jours plus tard à Saint-Martin-le-Vieux, je devais alors terminer tout seul l'étape qui me menait à Flavignac.

Le déroulement :

            Nous avons continué sur la D 29, et après un bon quart d'heure nous avons pris la D 5, direction Saint-Léonard-de-Noblat.


            Les moments les plus importants : le passage du Pont du Dognon, et nous sommes arrivés ensuite à Châtenet-en-Dognon ; et par des petites départementales, des chemins pierreux ou de terre, nous sommes arrivés à Saint-Léonard-de-Noblat
(voir photo). Nous avons suivi le balisage d'un bout à l'autre de l'étape.

            Une difficulté classique du début de cette voie de Vézelay que je n'ai plus rencontrée ces derniers temps : un passage des plus boueux en forêt. Non seulement, il faut monter, mais l'eau qui suinte de partout et les piétinements des marcheurs entretiennent au maximum la couche de boue, avec des risques de chutes qui pourraient entraîner au minimum des lavages supplémentaires à l'arrivée.

            À noter qu'à la fin du parcours, dans une montée assez raide, nous avons été dépassés par Jean-François – nous n'avions pas cherché à prendre son pas : il est grand, il marche vite, et il se paye des détours pour le plaisir de la découverte. Il est vrai que son but n'est pas de faire toute la voie de Vézelay.

Un refuge avec cuisine en gestion libre :

            En arrivant, nous sommes allés directement au refuge qui se trouve à côté de la collégiale Saint-Léonard-de-Noblat (voir photo). En jetant un œil sur la porte d'entrée, je me suis dit : et encore une porte à code ! me rappelant mon passage au gîte municipal de Chârost. Si ma mémoire est bonne, le code était écrit sur une affichette collée sur la porte ; en appelant la responsable au téléphone, il est possible de se faire communiquer ce code qui, bien entendu, change tous les jours. Cette responsable savait bien que je comptais passer dans cet hébergement puisque je l'avais eue au téléphone la veille ; son passage était aussi programmé dans l'après-midi. C'est avec elle que se règlent les formalités administratives de l'hébergement : le paiement de la nuitée, et le tampon sur la crédancial officialisant le passage du pèlerin en ce lieu.

            J'ai tapé le code, et en tournant la poignée la serrure a fait un certain bruit, mais la porte ne s'est pas ouverte. Au 2e essai, la serrure s'est bloquée, et, miracle, la porte a cédé tout d'un coup sur Jean-François qui l'avait actionnée de l'intérieur. Il était arrivé avant nous, et il avait sans doute fait la démarche de façon à mettre ce code à la portée des autres arrivants. La technique est dans le coup de main, m'a-t-il dit, il faut bien appuyer sur la porte pour que le mécanisme d'ouverture s'enclenche. De toute façon, il n'y avait plus de problème, je n'étais pas le seul dans ce refuge, et il y aura toujours quelqu'un à l'intérieur si la serrure continue à faire des siennes, d'autant que les trois autres d'hier soir n'allaient pas tarder à arriver. Il n'y a eu aucune concertation pour s'arrêter dans ce gîte.

            Ce gîte est d'une très bonne tenue. Il n'y a pas de dortoir, mais des chambres ; Françoise et moi avions choisi une, et les autres pèlerins se sont répartis dans les deux autres.

            Le groupe d'hier soir aux Billanges s'était reconstitué ; tout allait pour le mieux. Aussi, une fois l'installation faite, je suis sorti comme d'habitude pour une petite visite, prendre des photos et passer à la pharmacie, j'avais à renouveler mon gel d'arnica.

Une visite en ville :

            La visite en ville est des plus simples puisque le principal centre d'intérêt est tout à côté du refuge :  la collégiale de Saint-Léonard-de-Noblat.

            Cet édifice est inscrit au patrimoine mondial au titre des chemins de Saint-Jacques. Les pèlerins peuvent vénérer les reliques du saint placées dans une structure en fer suspendue dans le cœur. Pour obtenir les bienfaits du saint, ils passent au-dessous de ces reliques. Le chœur de l'église est aménagé pour permettre justement la circulation des pèlerins sous cette cage de fer (voir photo) et (photo).

            Le clocher présente une particularité architecturale : il est formé de 4 étages carrés surmontés de 2 étages octogonaux (voir photo).

            Saint-Léonard est un Franc de la noblesse de l'époque, il était à la cour de Clovis. Il s'est fait ermite dans la forêt de Pauvain (Limousin). Il est connu comme libérateur des prisonniers, et il a la réputation d'aider ceux qui attendent une délivrance, comme les femmes enceintes ou même les femmes stériles (voir photo).

Il n'y a pas eu de miracle à Saint-Léonard-de-Noblat :

            Comme d'habitude, pour mes visites après la marche, j'apporte ma caméra, et un seul bâton, par précaution, pour le cas où j'aurais à rattraper une glissade sur le rebord d'un trottoir, ce qui est toujours possible étant donné que j'utilise des savates pour les balades en ville.

            Pour être plus à l'aise, j'ai déposé mon bâton contre le mur d'une maison portant le label « gîte de France », en face de la collégiale, et elle était fermée. J'ai filmé l'extérieur et l'intérieur de l'église.

Ensuite, je suis allé à la pharmacie, un peu plus loin, après avoir emprunté un dédale de rues – j'ai dû d'ailleurs demander à un passant des précisions sur cette adresse. Puis, je suis rentré au refuge.

            C'est alors que je me suis rendu compte que je n'avais plus mon bâton. Je suis ressorti aussi vite pour aller le chercher, mais il avait disparu. J'ai l'habitude de marcher avec deux bâtons depuis plusieurs années – un avantage certain : ils supportent à peu près 10% du poids du sac, évitent de tirer trop sur les jambes dans les montées, protègent les genoux dans les descentes, corrigent la gîte du sac-à-dos en cas de chute, et permettent aussi de donner plus de vitesse à la marche en actionnant davantage les bras. Avec un seul bâton pour la suite, psychologiquement surtout, je crois que je me sentirai diminué.

            Je suis reparti à la pharmacie, je l'avais sans doute posé dans un coin. Après une inspection rapide de la salle, une évidence s'imposait : il n'était pas non plus à cet endroit ! Je suis retourné au refuge, et avant d'y entrer, j'ai revérifié une nouvelle fois le mur où je l'avais laissé, quelqu'un aurait pu le déplacer pour toutes sortes de raisons. Rien ! À moins qu'un jeune n'ait voulu en faire un jouet pour amuser ses copains. Je suis rentré à mon hébergement, et j'ai annoncé aux autres que je l'avais vraiment perdu, et qu'il me faudra attendre Limoges pour le remplacer.

            Mais je ne cessais de faire défiler dans ma tête le film de mes différents parcours en ville, pour me souvenir qu'après mon passage à la pharmacie, j'étais aussi au Leader Price où Alain et Cor s'occupaient des produits pour le dîner en commun pendant que je faisais de petits achats personnels ; et qu'il n'était pas impossible que je l'eusse laissé contre un chariot. Je suis donc ressorti pour vérifier... et je n'ai rien trouvé. En repassant devant la pharmacie, j'ai cette fois demandé à la pharmacienne si elle n'avait pas récupéré un bâton de marche. Toujours rien !


            Sur le retour, je me disais qu'il ne me restait plus qu'à espérer une intervention exceptionnelle de Saint-Léonard... quoiqu'elle soit, en ce qui concerne les objets perdus, plutôt du pouvoir de Saint-Antoine de Padoue. Passant devant l'église, j'ai jeté machinalement un œil sur le mur en question... et j'ai vu mon bâton, exactement à l'endroit où je l'avais laissé ! Et c'est en le brandissant fièrement que je suis entré au gîte, où les autres s'affairaient déjà à la préparation du repas. Il y a quelqu'un qui a lancé : mais c'est un signe ! Moi, je cherchais toujours une explication disons rationnelle, et je l'ai trouvée un peu plus tard : dans la maison « Gîte de France », il y avait, paraît-il, un couple de marcheurs allemands, et vraisemblablement, ce sont eux qui l'ont « ramassé » avec de bonnes intentions, et, sans doute, ayant remarqué mes différents passages devant ce mur, ils l'ont remis à sa place. Ces deux-là, je les ai rencontrés plus loin sur le chemin, la femme parle en peu le français, mais l'homme pas du tout. Je les ai trouvés très sympathiques, mais je n'ai pas voulu les ennuyer avec mon histoire de bâton. Il n'y a pas eu de miracle à Saint-Léonard-de-Noblat.

Un excellent dîner, et une bonne nuit :

            C'était la première fois sur ce chemin de Vézelay que je me retrouvais dans un groupe ambitionnant de préparer un dîner. C'est principalement Alain qui était à la manœuvre comme cuisinier ; Jean-François, Cor et Ole l'ont aidé, bien entendu. Les spaghettis à la « Bolognaise » ont été unanimement appréciés. Pour la suite, bien que j'aie un doctorat ès vaisselle, je n'ai été que l'assistant de Françoise : la plonge, c'était elle ; moi je ne faisais qu'essuyer et ranger. Mais je savais que j'aurais moult occasions d'approfondir mes connaissances dans ce domaine.

            Ce que j'ai apprécié, c'était comme si nous nous connaissions depuis longtemps sur ce chemin, qu'il y avait des habitudes quant à la part que chacun peut et doit naturellement apporter au groupe. Une application des notions d'aide et de partage. Il faut dire aussi que pour tous les cinq, nous n'étions pas à une première expérience sur le chemin. Mais l’intégration à un groupe est un chemin en lui-même, qui n’y aboutit pas forcément, la part de liberté que chacun s’accorde étant en effet précieuse.

La nuit a été tranquille.

dimanche 13 octobre 2019


Étape 15 : les Billanges, 28,5 km.

Photo : J'arrive aux Billanges.



Résumé de l'étape :

            Après la Nièvre, le Cher, l'Indre et la Creuse, je suis entré ce dimanche 31 mai 2 015 dans le département de la Haute-Vienne (Voir photo). Cette étape de Bénévent-l'Abbaye aux Billanges est, sans aucun doute, est à classer dans les plus belles que j'ai effectuées sur le Vézelay, sur tous les plans : un beau profil avec des montées qui s’enchaînent et une longue descente en forêts ; une fin de parcours en pleine campagne avec encore de bons dénivelés, par un temps extraordinaire ; une rencontre intéressante avec un responsable d'association qui travaille au maintien d'un lieu de vie à Châtelus-le-Marcheix dans le dernier tiers de la marche ; sur un plan physiologique, alors que j'étais encore seul sur le chemin, la  volonté de réussir m'a permis de dominer des réactions momentanées du corps. Et enfin une petite preuve : ce sont les pèlerins eux-mêmes qui donnent du relief et de l’ambiance, de la qualité à un gîte, et non pas seulement un bel équipement. Sans compter évidemment la personnalité de la responsable de la structure.

L'étape :

Une forte interrogation au départ :

            Dans la dernière partie de la nuit à Bénévent l’Abbaye, je n'ai pas dormi en raison d'une petite douleur au-dessus de mon genou gauche, plus vers l'extérieur, et sans doute à un point de fixation d'un muscle – je n'ai jamais eu des problèmes à cet endroit. De petits spasmes réguliers m'ont tenu éveillé jusqu'au moment où il a fallu se préparer pour partir. Je me suis même demandé si j'étais en mesure de faire cette étape... et ma décision a été de ne pas reculer, après avoir bien massé la petite partie douloureuse. « Ça passe ou ça casse », je ne pouvais pas faire autrement, et principalement pour une raison : j'avais donné rendez-vous le lendemain matin 01 juin, aux Billanges, à Françoise, une amie pèlerine que j'ai connue sur la voie du Puy en 2 011 et qui, comme sur la voie d'Arles en 2 013, voulait m'accompagner dans quelques étapes. Le plaisir est toujours pour moi ! Mais la volonté de réussir mon chemin a écarté cette douleur – je n'ai rien senti toute la journée, j'avais même oublié l'existence de ce point douloureux. La magie du chemin !

            À l'arrivée, après la douche, j'ai constaté que j'avais une petite tache bleue à cet endroit, signe que je m'étais cogné quelque part. Mais j'ai penché plutôt à une autre explication : il m'arrive au cours de la journée de placer mon téléphone dans la poche basse mon pantacourt, et à gauche. Cette masse au rythme de mes pas devait cogner régulièrement contre cette partie de ma jambe, ce qui a engendré un petit traumatisme au point d'impact. Le mal n'avait pas résisté à l'effort ; j'ai corrigé cela, et je n'ai jamais plus eu cette douleur. Cela me confortait encore plus dans l'idée que les douleurs résultent le plus souvent d'une posture à rectifier, aux épaules pour le sac-à-dos, au pied pour le laçage des chaussures, etc.

Le déroulement :

            J'ai suivi complètement les préconisations du Lepère, en collant au balisage jusqu'à l'arrivée, d'autant que sur la carte, il n'y avait pas d'autres possibilités, et que les courbes de niveau indiquent des reliefs importants.

            Au départ, j'ai pris la D 914, pour attaquer sans tarder un chemin de terre qui longe une forêt, et qui y pénètre assez rapidement. Succession de petits chemins et de petites routes goudronnées, sans compter des passages dans des bois, en longeant de petits ruisseaux, et des traversées de petits bourgs. Et de rudes montées : par exemple, j'ai quitté une zone boisée, aux balises un peu espacées, et j'ai atterri sur la départementale qui mène au village de Saint-Goussaud, la plus pentue des routes goudronnées que j'ai faites. C’est dans cette situation que le poids du sac se fait particulièrement sentir. Je fixais par exemple un arbre, et je montais à petits pas, sans me préoccuper du sommet, et arrivé à cet arbre, je me donnais un autre point de repère, et ainsi de suite. J'étais alors au sommet le plus haut de la voie de Vézelay (moins de 1 000 m).

            La nature est ainsi faite : s'il y a une montée, la descente correspondante ne tarde pas. Je n'ai jamais ressenti une descente aussi longue, je croyais en avoir fini avec une forêt à un éclairci des bois et à un petit replat, mais c'était pour repartir de plus belle dans une autre descente, dans une autre forêt. Cette succession semblait ne pas avoir de fin... et je me posais quand même la question de l'erreur de parcours, alors que je savais bien que cela n'était pas possible au vu de la carte. Il ne me restait plus qu'à m'adapter, à patienter. Le village de Châtelus-le-Marcheix que j'attendais n'arrivait toujours pas. J'étais seul dans ces forêts, je n'ai même pas entrevu les pèlerins du gîte d'hier soir.

            Je pestais contre mes chaussures qui prenaient du plaisir à y laisser entrer des petits cailloux plus que d'habitude – je n'arrêtais pas de me dire que mes prochaines godasses seront à coup sûr des montantes. Et cela a duré pendant une bonne partie de cette descente, m'obligeant à regarder de plus près le sol. Je descendais dans un sentier où cela se voyait qu'il est pratiqué depuis la nuit des temps, et sans être un expert, c'est la dégradation de la roche granitique qui donne une espèce de sable (quartz ? mica ?) et des petites particules plus solides (feldspaths ?), ces éléments que je devais enlever de mes chaussures tous les 100 m. Et pourtant, malgré ces inconvénients, je regardais ce chemin dans la montagne d'un bon œil. Tout se mérite.

            Quand je suis enfin arrivé à une petite route goudronnée, près de Châtelus-le-Marcheix, j'étais heureux, bien que je susse que je n'avais pas fini avec les dénivelés jusqu'aux Billanges.

            Le chemin utilise ensuite des départementales, disons plus confortables, mais avec toujours des montées assez rudes ; et je suis parvenu à un grand plateau, qui lui aussi n'en finissait plus : mon regard restait fixé sur l'horizon afin d'entrevoir au loin le toit d'une maison, le signe qu'un village était enfin à ma portée.

            Après une longue rue presque droite et un carrefour, je suis arrivé à la mairie des Billanges, et à l'église juste à côté. En ce dimanche après-midi, il y avait une manifestation à un espace communal, et sur un parking attenant, j'ai interrogé un homme qui y revenait et prenait sa voiture pour s'en aller. Le gîte de Françoise ? Mais vous y êtes, c'est juste là-bas, m'a-t-il dit, en me montrant un portail.

Deux moments très forts : La lanterne des morts, à l'entrée de Saint-Goussaud ; la rencontre avec Daniel, à Châtelus-le-Marcheix :

            Au sommet de la dure montée qui mène à Saint-Goussaud, dans un espace gazonné, se trouve une belle lanterne des morts. C'est une petite tour de pierres, élancée, et l'édifice est creux, sans doute pour laisser le passage à une lampe allumée. Sa construction remonte au XIIe siècle. Selon la légende, c'est une sorte de fanal qui guidait les morts le soir quand ils quittaient leurs tombes pour « hanter » les vivants, et quand ils y revenaient à l'aube. N'ayant resté qu'un moment dans cet espace et en plein jour, pour me reposer, je n'ai pas pu vérifier si cette légende collait un peu à une certaine réalité.

            Plus sérieusement, le débat reste ouvert quant au sens à donner à ces lanternes, qui se trouvent aussi dans des cimetières. Son rattachement à la culture celte est fort probable : dans une autre version, elles servaient de guide aux âmes perdues. D'une certaine façon, la culture chrétienne a assimilé cette idée de la continuité de la vie et de la mort. Une version non religieuse présentait un côté pratique : cette lanterne guidait les voyageurs égarés, ou encore les prévenait de la proximité d'un lieu dangereux.

            Au bas de cette fameuse descente, à l'intersection des routes, j'ai vu en face de moi une auberge restaurant dont l'enseigne bien visible de loin me tendait les bras. C'était le moment de se reposer et de s'alimenter. C'est tout petit à l'intérieur, mais il y a l'essentiel. J'ai été accueilli par Daniel, qui m'a tout de suite demandé si je voulais manger quelque chose – pour un dimanche en début d'après-midi et en ce lieu si retiré alors que nous sommes encore assez loin de la période touristique, c'était pas mal ! Au lieu d'un sandwich, il m'a proposé un plat prêt à réchauffer. J'ai choisi un bœuf bourguignon. C'était le meilleur bœuf bourguignon que j'ai mangé jusqu'ici... Et arrosé d'un bon thé !

            La discussion a été intéressante : Daniel m'a expliqué que la structure municipale d'accueil des pèlerins dans ce village était à bout de souffle, les charges étaient trop importantes pour la clientèle de passage. Et pourtant, m'a-t-il répété, il faut tenir debout de tel lieu de vie, indispensable dans un village retiré. D'où l'association qui a été créée pour maintenir en vie cet accueil, mais aussi rendre des services aux habitants de ce lieu, par exemple pour le pain, m'a-t-il dit encore. Et j'ai ajouté : d'où l'importance d'entretenir de petits réseaux de bénévoles de façon à assurer sur le long terme cette mission.

Une déception en découvrant mon gîte :

            Le portail étant ouvert, je suis entré dans la cour. Comme au gîte de la Souterraine, cet hébergement occupe un ancien corps de ferme, mais ici, une bonne partie a été rénovée et destinée à des activités artistiques, et le gîte proprement dit se tient dans la dernière partie au fond de la cour.
. La porte étant simplement poussée, je suis entré ; et il n'y avait personne à l'intérieur. Au rez-de-chaussée, une grande pièce partagée en deux, sans totale séparation : l'accueil et la salle à manger contenant un espace cuisine.

            En face de la table à manger se trouve une cheminée, qui m'est apparue quelconque à ce moment-là. Un grand escalier en bois permet d'accéder à l'étage, mais je n'y suis pas allé. Au fond, à un niveau plus bas, une chambre à deux lits. J'ai fait et refait le tour de tout cet espace au rez-de-chaussée pour découvrir les sanitaires – le strict nécessaire, mais fonctionnel.

            Mon impression était loin d'être bonne : je trouvais que ce gîte n’était pas extrat, et surtout, ce qui frappait, c'était une circulation continuelle de mouches, qui collaient aux vitres – il devait y avoir un élevage dans le coin. Je ne pouvais pas pour autant changer de stratégie : j'avais un toit pour la nuit ; dans la chambre, des couvertures pliées sur les lits, et il était prévu un dîner. Il ne me restait plus qu'à gérer le temps jusqu'au lendemain.

            J'ai hésité un bon moment entre les deux lits de la chambre, je devais tenir compte de l'entrée des mouches par la porte et de la position des deux fenêtres.

Un gîte très vivant au dîner :

           C'est Jean-François, que j'ai connu à la Souterraine, qui arriva ensuite, et il a pris le 2e lit dans la chambre ; un peu plus tard, ce fut au tour du trio de Bénévent-l'Abbaye, Alain et les deux Néerlandais, Cor et Ole, et ils se sont installés à l'étage.

            En fin
de journée, le temps était à la pluie, et dehors le froid montait. Françoise, la responsable du gîte, est arrivée avec tout son barda – elle habite une maison au fond du terrain. Elle apportait divers matériels pour démarrer son hébergement. Dans cette salle à manger où nous étions rassemblés tous les cinq, à faire du courrier, de l'Internet ou de la photo, et où les échanges en anglais avaient leur place, le Français bien entendu était aussi utilisé. J’ai ressenti une bonne ambiance qui montait vite. Pour une simple raison :
la cheminée avait été allumée, et elle fonctionnait bien ; les flammes sortant des bûches éclairaient toute la salle, et entretenaient une douce chaleur dans tout le rez-de-chaussée (voir photo, photo et photo). Un tel climat rendait la communication encore plus facile. Sans compter que Françoise, sans être une démonstrative dans le domaine, par des gestes simples, un mot par ci un mot par là, s'occupait bien de son monde : un petit apéritif maison, une discussion à lancer sur tel ou tel sujet, tout en étant à côté à préparer le dîner. Elle a le coup de main, il est vrai que c'est une artiste – dommage que nous n'ayons pas eu le temps de visiter la partie de ce bâtiment tout en longueur consacrée à des activités dans ce domaine !

            Elle nous a préparé un plat de pâte de sa composition, en qualité et en quantité, si bien que nous étions tous d'accord pour dire qu'il faudrait donner un nom à cette préparation, de façon à la personnaliser – j'ai même insisté pour qu'elle fasse à ce sujet une petite publication sur Internet.  Un excellent repas, avec entrée et dessert, et bien arrosé de vin ! Dans une ambiance de veillée !

            Quand Françoise a parlé de rénover un autre bâtiment à côté, je me suis dit qu’il serait intéressant de voir fonctionner ce nouvel équipement 

            Finalement dans ce gîte, j'ai passé une excellente nuit, aucun problème de froid, aucun problème de mouches. Le bois dans la cheminée a continué de brûler doucement pendant toute la nuit. Tout était calme, tout était bien ! Je suis sûr que les autres aussi se sont bien reposés. Le passage dans ce gîte fut aussi un moment de réflexion sur le fond - voir photo : un petit texte sur un tableau dans la partie accueil.

mardi 8 octobre 2019


Étape 14 : Bénévent-l'Abbaye, 21,5 km : samedi 30 mai 2 015.


Photo : J'arrive à Bénévent-l'Abbaye.


Résumé de l'étape :

            Dans cette petite étape, qui traverse des paysages verdoyants qui font le charme de cette région, le balisage suit de petites routes, à trois exceptions près.

            C'est à Bénévent-l'Abbaye que j'ai particulièrement apprécié l'accueil, la sympathie ordinaire, directe de ces gens disposés, peut-être préparés à aider les pèlerins de passage dans leur ville. J'en veux pour preuve l'accueil au bar, au bureau de tabacs-journaux, à la boulangerie ou encore au salon de thé.

            La commune de Bénévent-l'Abbaye est dans l'ouest de la Creuse et au nord-est de Limoges. C'est une étape incontournable sur la voie de Vézelay.

            Il y eut l'implantation d'un monastère avant que l'église Saint-Barthélémy ne fût construite au XIIe siècle, au même lieu, (voir photo, photo et photo). Le nom vient du fait que des reliques de Saint Barthélemy - le saint est originaire de Bénévento en Italie - y ont été placées. L'édifice est imposant, en granite taillé, et il a la caractéristique d'avoir deux clochers couverts de bardeaux de châtaigniers, une spécialité de la région.

L'étape :

            Il a fallu au départ du gîte « Le coucher du soleil » que je reprenne l'avenue du Pont-Neuf pour retourner à l'église de la Souterraine et rattraper le balisage là où je l'avais laissé hier. J'ai eu quelques difficultés à sortir de la ville, si bien que j'ai été obligé de mettre à portée des mains les feuilles de mon livre correspondantes à l'étape du jour – je les arrache, le livre qui « maigrit » au fil des étapes reste dans mon sac-à-dos – de façon à serrer au mieux ses préconisations, quand elles collent au terrain, ce qui n'est pas toujours le cas. Malgré tout, j'ai eu des difficultés à trouver la D10.

            J'ai fini par emprunter un tunnel sous la route, puis j'ai pris la direction de Saint-Priest-la-Feuille, toujours en marchant sur la D 10.

            De façon générale, le balisage suit pratiquement cette petite départementale, et la quitte en 3 endroits ; et, au 3e, je me suis retrouvé au pied de Bénévent-l'Abbaye, il ne me restait plus alors qu'à faire la dernière petite côte pour terminer l'étape.

Une charmante factrice :

            Justement, je venais de quitter un petit chemin et de rejoindre la D 10 avant la fin de mon étape, et une petite descente m'a ramené sur du plat avant d'attaquer la dernière petite montée. J'ai vu alors une fourgonnette de la Poste garée sur le bord de la route, et une jeune Bénéventine de la profession qui rangeait ses plis et autres lettres dans un bac sur le capot de son véhicule de service ; bien entendu, elle était habillée comme l'exige son métier, question d'identification immédiate pour le public. Je lui ai dit bonjour, et je m'apprêtais à lui poser quelques questions concernant le village d'arrivée – du fait de leur profession, ces gens sont bien placés pour donner des informations justes, précises, et ont une bonne connaissance des résidents. Mais une question m'est venue tout d'un coup à l'esprit, car ce n'était pas la première fois que je rencontrais ces professionnels sur le chemin : excusez-moi, lui ai-je dit, je dois vous appeler la facteure ou la factrice ? Elle s'est mise à rire. Et j'ai enchaîné : j'ai déjà rencontré plusieurs de vos collègues, et à chaque fois c'était la gent féminine qui était de service. C'est une très bonne politique de votre boîte, car, pour les contacts avec la population, les femmes sont peut-être mieux armées. Tout en rigolant, elle m'a répondu : vous pouvez dire la factrice ; nous sommes quatre dans le secteur dont un homme. Et elle m'a donné quelques informations sur le village, sur la rue commerçante où il y a de tout, m'a-t-elle dit encore, et une autre d'un grand intérêt : la pharmacie du village est fermée le samedi après-midi, ce que je n'avais pas du tout anticipé. Ah, si la Poste pouvait donner un peu de temps aux factrices pour qu'elles puissent dans leur service participer à l'accueil des pèlerins ! Il faut rêver un peu sur le chemin.

Un premier contact avec cette petite ville :

            Le temps s'était refermé quand je suis arrivé, il pleuviotait, et j'ai vite constaté que la pharmacie du coin était bien fermée. Comme il était beaucoup trop tôt pour me rendre au gîte, il me restait plus qu'à aller au bar. J'ai trouvé tout de suite la rue commerçante que la Bénéventine de factrice m'avait indiquée. Ce fut alors un remake de ce qui s'est passé à Éguzon : la dame, très gentille, m'a conseillé d'aller prendre un sandwich à la boulangerie et de revenir le manger dans son bar. C'est ce que j'ai fait, en prenant tout mon temps – dehors, il ne faisait pas bon, et j'étais bien au chaud. J'ai même pris un deuxième thé pour accompagner mon déjeuner.

            En sortant, j'ai refait un tour à la boulangerie : je voulais savoir si en fin de journée, je pouvais encore acheter de quoi me sustenter. Et la réponse était évidente : mais vous prendrez ce qui restera... et quelques fois pas grand-chose !

            Je suis allé faire un tour pour prendre des photos, passer à l'église (voir photo, photo), utiliser le temps que j'avais devant moi.

Un bon gîte, et la rencontre de 3 pèlerins :

            Il était encore loin d'être 16 H quand je me suis décidé à monter au gîte, à 200 voire 300 m plus haut. À ma grande satisfaction, en arrivant à l'adresse indiquée, un bâtiment qui domine un peu l'église, la porte n'était pas fermée à clé. Dans le hall de l'entrée, d'où je pouvais voir l'espace du gîte proprement dit, j'ai descendu mon sac et je me suis assis, et j'ai attendu que les choses bougent. À moment donné, j'ai vu un homme d'une taille assez grande qui circulait dans le gîte, et qui m'a regardé. Il avait l'air d'être un hospitalier ou un responsable de l'hébergement qui, à mon sens, n'allait pas tarder à me faire remarquer que j'étais un peu trop en avance, que je devais attendre l'heure d'ouverture pour m'installer. Il n'en a rien été ; il m'a fait signe d'entrer. J'ai fait ainsi la connaissance d'Alain, un pèlerin, que j'ai retrouvé à l'arrivée de plusieurs étapes avant que je ne finisse un peu plus loin par intégrer progressivement son petit groupe de marche. Je pense d'ailleurs que c'est peut-être à partir de ce gîte, à Bénévent-l'Abbaye, que ce petit groupe s'est constitué.

            Alain vient de Sablé-sur-Sarthe, près du Mans. Il s'est élancé sur le chemin à sa retraite, en partant de sa maison, pour rejoindre la voie de Vézelay et cheminer jusqu'à Saint-Jean-Pied-de-Port. Son projet est d'une tout autre dimension : après cette première partie, il ambitionne de continuer par le Camino Del Norte avec sa femme, de remonter ensuite tout seul le Camino Francés dans le Nord de l'Espagne, de repasser les Pyrénées pour rejoindra sa maison dans la dernière partie. Et toujours à pied ! Presque 5 mois de marche, selon ses prévisions. L'homme n'est pas très loquace, mais sûr de lui !

            Je me suis donc installé, et, après la douche, je suis sorti pour continuer ma visite de la petite ville et faire quelques achats pour le dîner.

            Alain m'a évité de puiser dans ce qui me restait d'arnica pour mes pieds, et ce d'autant que le lendemain, dimanche, les pharmacies sont fermées : il m'a passé une solution à l'arnica en me disant que je pouvais la garder en attendant. C'est drôle comment les petits problèmes s'arrangent naturellement sur le chemin...

            En fin de journée sont arrivés deux Néerlandais qui marchaient déjà ensemble. Je ne peux pas dire que j'ai fait leur connaissance ce jour-là ; ils ne parlent pas français, et mon anglais est pratiquement inexistant – à ce propos, j'ai découvert qu'Alain, lui, s'en sort bien dans la langue de Shakespeare. Je ne suis pas sûr, mais je crois que c'est dans ce gîte que ce groupe de trois s'est constitué, l'élément déterminant étant à mon sens une langue commune. Ces trois-là – Alain, Cor et Ole – étaient faits pour marcher ensemble.

            Le lendemain matin, j'ai aussi compris qu'il y avait vraisemblablement un autre élément qui a fait le lien entre eux : Le savoir-faire en cuisine. Je n'avais besoin que d'un peu d'eau chaude pour mon thé, et d'un bout de table pour tartiner des morceaux de pain au beurre et à la confiture, à la disposition des pèlerins dans ce gîte ; mais tous les trois ont mis un branle-bas dans la cuisine : ils avaient de quoi en nourriture et surtout le savoir-faire. J'avais un peu l'impression de les gêner. Mon petit déjeuner avalé, je suis parti sans perdre du temps.

Un salon de thé :

Dans la dernière partie de l'après-midi, je suis passé à la boulangerie : la jeune employée m'a tout de suite annoncé, son regard balayant l'espace presque vide de la vitrine, et sa bouche faisant une moue : il ne me reste pas grand-chose, sous-entendant en qualité et en quantité ; et elle a commencé à entrer dans les détails. Je l'ai tout de suite interrompue, je n'avais pas le choix : si vous êtes sûre que cela se mange, je suis preneur. Elle a ri... et elle a continué : mais vous pouvez aller manger une assiette de charcuterie au salon de thé qui se trouve juste en face de l'église. Me voyant un peu sceptique, elle a insisté.

            C'est ainsi que je me suis retrouvé descendant le petit escalier qui mène à la cour d'une habitation entre deux grosses constructions (voir photo). La devanture n'a rien de commercial. Cela faisait même très privé ! Glissant un œil par la porte, j'ai vu un aréopage de gens du village, quatre femmes et un homme, tous bien habillés, qui discutaient posément à des tables presque alignées, alors que j'étais en pantacourt, polaire et savates deux doigts. J'avais commencé à faire délicatement arrière quand un homme d'un certain âge, à coup sûr d'origine vietnamienne, est venu vers moi grand sourire et m'a conduit dans la salle. Il ne m'a même pas laissé le temps de m'excuser dans ce qui me paraissait être une intrusion et m'a tout de suite dit : vous voulez manger quoi ?

            Je me suis retrouvé à une petite table, un peu mal à l'aise parce que faisant pratiquement face aux autres. Une dame d'un certain âge sortant de l'arrière-salle est venue vers moi, et en moins de deux ma commande était faite, sous les regards des présents que j'ai jugés à l'instant quelque peu pesants : assiette de charcuterie, fromage, tarte et bière. Donc, pas de thé !

            Mais tout allait se débloquer et se passer merveilleusement, principalement grâce à l'homme du groupe déjà sur place qui par sa curiosité et la possibilité que je lui offrais, après avoir présenté ma situation de pèlerin, et, bien entendu, répondu aux classiques questions de la motivation sur le chemin et de cette propension à toujours y revenir, de parler de lui-même, de ses aventures, de son propre cheminement. Il en avait besoin. Surtout, le déclic s'est produit quand j'ai annoncé que je venais de la Réunion. Si bien que sa femme lui répétait, de temps à autre, après lui avoir donné discrètement de petits coups de coude : Parle moins fort ! Pendant que je mangeais et que je buvais, et que « mon Vietnamien » restait pratiquement à mes côtés, prêt à la suite du service, la discussion allait bon train. Mais les dames intervenaient peu.

            L'homme prenait du plaisir à raconter le temps qu'il a passé dans l'Océan Indien ; je n'ai pas osé l'interroger précisément, mais je pense qu'il a dû faire carrière dans la zone, dans le personnel diplomatique ou dans le monde économique, peut-être même y compris au temps de la colonisation. Il a vécu à Madagascar, et a fait aussi un passage touristique à la Réunion. Sans compter l'Afrique de l'Est où il a connu Henry de Monfreid, l'aventurier, artiste et écrivain célèbre. Il prenait du plaisir à en parler, après que je lui avais pointé la petite aventure de ce dernier sur son bateau « Le Rodali », un nom créole. L’aventurier Monfreid, en partant de la Réunion, devait rejoindre l'Île Maurice, mais il a dérivé pendant 8 jours et a été secouru près de Madagascar, dans la région de Tamatave. J'aurais pu activer encore plus le personnage de mon interlocuteur du jour si je m'étais souvenu à ce moment-là que le Monfreid a été ensuite reçu à un grand dîner à l'ambassade de France à Madagascar.

Je l'ai aussi interrogé sur l'église du village, sur les reliques de Saint Barthélemy... mais le temps m'a manqué pour aller plus loin.

            Tous ces gens-là sont restés pendant au moins une heure, à parler, à écouter. À la fin de mon dîner, qui ne m'a coûté que 9,70 €, je me devais de les remercier pour le temps et l'écoute qu'ils m'ont accordés.

            Il commençait à faire sombre quand j'ai quitté le salon de thé. Je me sentais bien. Mais j'avais besoin d'évacuer la concentration que ce passage en ce lieu a demandée. Et je suis passé au bar prendre un ballon de vin rouge ; la dame de service m'a proposé un Bordeaux supérieur. Je voulais faire le vide dans ma tête, me libérer l'esprit de façon à m'endormir au plus vite, sans qu'il y ait le besoin de refaire défiler le film de ce dîner.

De la gentillesse partout !

Quand je fais la visite de la ville étape, j'emmène, outre de quoi faire des photos, mon carnet de notes pour que je puisse fixer sur le moment divers repères et l'essentiel de petits événements intéressants. Mais cette fois-ci je n'ai pas pu mettre la main sur un des deux stylos que j'emporte habituellement dans mon sac. Il fallait en avoir un ce jour même car demain dimanche, aux Billanges, je n'avais aucune chance d'en trouver. Je ne pouvais alors miser que sur le bureau « tabacs-journaux » attenant au bar du village qui était encore ouvert à cette heure. La dame qui s'occupe de cette boutique m'a tout de suite dit qu'elle n'en avait pas à vendre. Je suis resté un peu désemparé devant elle pendant quelques secondes, mais elle a ajouté : je vais vous les donner ! Et elle m'a remis 4 stylos à bille. Je suis resté ébahi ; gardez-en un peu pour d'autres, lui ai-je répondu. Elle m'a remis vraiment 4 stylos – ce sont sans doute des objets de publicité, mais il n'empêche que j'étais heureux – les petits problèmes se règlent facilement sur le chemin. Et jusqu'à Saint-Jean-Pied-de-Port, pendant vingt-cinq autres étapes, j'ai eu toujours un stylo à portée de la main.

Il ne me restait plus qu'à regagner mes pénates. C'est ainsi que j'ai refait gaillardement la petite montée qui mène au gîte.

mercredi 2 octobre 2019


Étape 13 : La Souterraine, 34-35 km : vendredi 29 mai 2 015.



Photos : J'arrive à la Souterraine. 

Une étape particulièrement enrichissante sur bien des plans.

            La commune de La Souterraine se situe dans le département de la Creuse, dans le Limousin. C'est un village étape pour les pèlerins depuis 2000. Le nom de la ville se rapporte à la crypte, une église souterraine, à partir de laquelle a été construite l'église Notre-Dame, qui par sa situation domine la ville. Cette crypte était un lieu de culte primitif, comme à Neuvy-Pailloux, un village avant Châteauroux sur la voie de Vézelay.

            Cette étape traverse des paysages très variés, avec des forêts, et passe par de belles petites côtes. Le balisage est correct, cependant j'ai eu un moment d'indécision à deux carrefours avant des villages.

            Ce n’était pas du tout une « marche souterraine », mais la mise en lumière de la fréquentation de ce chemin de Vézelay – c’était la première étape où j’ai rencontré pas mal de marcheurs – il faut dire que c’est un point de convergence de plusieurs chemins dans la région. Une belle et longue marche dans la journée !



L'étape :

            Dans cette étape, j'ai suivi complètement le balisage, qui correspond bien aux indications de mon guide.

            En sortant d'Éguzon, j'ai continué sur la D 913, et un peu plus loin j'ai descendu à gauche un chemin forestier, et j'ai continué pour monter ensuite un chemin en épingle à cheveux. Le paysage est bien boisé, et il faisait encore sombre en ce début de journée.

            Après un hameau, j'ai emprunté un chemin à peine dégrossi, pour rattraper une petite route.

 Ce fut ensuite le passage à Crozon, les forêts sont bien denses, et le soleil ne pénétrait pas encore dans les bois. J'étais tout seul dans cette nature, mais j'étais serein : j'ai l'habitude, de l'entraînement, et j'étais surtout sûr de mon itinéraire !

         Cependant, plus loin, au Pont Chareau, après une descente, à un carrefour quelque peu tourmenté, toujours en zone très boisée et sombre, bien que les balises fussent toujours présentes mais un peu espacées, j'ai eu quelques hésitations. Mais je suis bien parti sur la droite pour la Chapelle-Baloue, le balisage suit la D 72, et après une montée assez rude, et le passage d'un torrent, j'y suis arrivé.

            Et c'est sans aucun problème que j'ai quitté la départementale pour un chemin goudronné et que je suis arrivé près de Saint-Germain-Beaupré. Après un bon chemin de terre et un retour sur la D 72, ce fut Saint-Agnant-de-Versillat.

            Plus loin, j'ai traversé le hameau Les Chassagnes, passé un pont sur la voie ferrée, et après la porte Saint-Jacques, je me suis retrouvé à l'église de la Souterraine.

            Cette zone urbanisée m'a paru assez longue. À noter que dans la dernière partie de cette étape, j'ai eu l'impression, en deux fois, à de grands carrefours, que la départementale disparaissait sur le panneau de circulation à l'entrée pour réapparaître sur un autre à la sortie, comme la D72 qui m'a amené à la Souterraine – elle perd sans doute sa dénomination, et la reprend après ; était-ce bien une réalité ou un manque d'observation voire de lucidité à ce moment ?



À la recherche du chemin du gîte :

            Quand je suis arrivé sur la place de l'église de La Souterraine, après avoir franchi la porte Saint-Jacques, qui donne tout de suite une idée des fortifications au XIIe siècle autour des églises, il était plus de 15 H, et ma préoccupation était d'aller au 33 de l'avenue du Pont-Neuf. J'ai tourné un peu sur la place, et j'ai vu à une certaine distance un pèlerin qui remontait vers la façade principale de l'église et qui me semblait, lui aussi être en état de recherche – aujourd'hui, je peux dire qu'il y avait toutes les chances pour que ce fût Alain, que j'ai rencontré plus tard et avec qui j'ai fait beaucoup d'étapes plus loin sur le chemin.

            Un vieil homme qui se promenait nonchalamment m'a donné une première information pour trouver cette avenue : je devais commencer par tourner à gauche, ensuite à droite, descendre carrément jusqu'au bas de la butte et passer deux ronds-points. C'est ce que j'ai commencé à faire, mais je craignais de m'enfoncer trop loin dans l'erreur. J'ai préféré remonter sur la place de l'église, car je ne trouvais pas cette avenue du Pont-Neuf.

            Je suis entré dans la pharmacie près de l'église, pour constater que le personnel était tout occupé en raison de l'affluence à cette heure. J'ai réussi à « attraper » une jeune femme qui se déplaçait entre des rayons, mais elle était désolée de ne pas pouvoir me renseigner, car elle n'était qu'une stagiaire fraîchement en poste, et non originaire de cette ville.

            Je suis ressorti, et j'ai refait le même parcours que précédemment, mais en poussant plus loin que les ronds-points. Et j'ai fini par trouver une affichette annonçant le gîte. Autrement, j'aurai été obligé de faire une connexion internet pour utiliser un plan précis de la ville.

            Cette fameuse avenue n'est qu'un long chemin goudronné ordinaire, si bien qu'à un moment, j'ai compris que je commençais à sortir de l'agglomération, il n'y avait presque plus de maison des deux côtés de la route, et j'étais encore bien loin du numéro 33. Mais il fallait avancer... et c'est alors que j'ai découvert une autre affichette qui portait cette inscription, preuve que je n’étais pas le premier pèlerin à se trouver en recherche de ce gîte : « Allez, courage, un dernier effort, vous êtes presque arrivé au « Coucher du Soleil ». Cela m'a fait rire ! Mais j'en ai tiré tout de suite une conclusion : il n'était plus question de retourner visiter l'église en ville, ni le cimetière, où selon mon guide une lanterne des morts veille sur trois tombes de jacquets, étant donné un aller-retour conséquent à faire en cette fin de journée après les 35 kilomètres parcourus dans cette étape.

            C’est ce que l’on appelle vraiment une belle étape, sur tous les plans, et ce d’autant plus que je ne savais pas encore l’ambiance exceptionnelle qui m’attendait dans ce gîte.



Un gîte opérationnel :

            Le portail du 33 était grand ouvert quand je suis arrivé. 
J'ai quand même été surpris par ce corps de ferme dont une partie n'est pas encore restaurée.
Et ce grand silence ! Je me suis approché de la porte d'entrée qui était fermée, et j'ai tout de suite vu une petite affiche collée derrière la vitre : « entrez et installez-vous ». En effet, la porte n'était pas verrouillée, et je suis entré !

            Au pied de l'escalier se trouve un petit coin salon avec des fauteuils, un endroit pour ranger les chaussures et un autre pour les bâtons ; et à côté une grande salle à manger bien équipée. L'aménagement intérieur est tout récent et de qualité. Je me suis assis dans un fauteuil, je me suis déchaussé pour mettre mes savates. Pendant un bon moment je me suis reposé, en attendant que les choses bougent. J’avais vraiment terminé mon étape, et j’étais à l’abri !

            Trois autres marcheurs sont arrivés et se sont installés comme moi, jusqu'à ce que la maîtresse des lieux arrivât. Claudine, la responsable, nous a priés aussitôt de monter à l'étage pour prendre possession de notre coin dans les chambres. Elle nous informa de la possibilité de lavage à la machine.

            À l'étage, c'est aussi du neuf et du bon, pour les chambres, les lits et les sanitaires. Dans une chambre, j'ai pris un lit du bas, et comme d’habitude près de la porte de sortie de la chambre. J'ai pu disposer du lit au-dessus pour étendre un peu mes affaires. Un autre adopta la même tactique dans la chambre ; et des deux autres s'installèrent dans une autre chambre.

           J'ai fait ainsi la connaissance de Bernard de la Corrèze, de Pascal de Reims et de Jean-François, en T-shirt rouge, qui vient d'une région proche, je n'ai pas bien retenu le nom de son coin d'origine – Ce dernier est bien celui que j'avais entrevu à Éguzon, et que j'ai retrouvé dans plusieurs étapes plus loin. Aucun de ces trois ne suivait vraiment mon chemin – autrement, je les aurais plus ou moins repérés sur mon parcours.  Les deux premiers complétaient des marches déjà entamées les années précédentes ; le dernier remontait par une diagonale, et suivait un GR. Cela se voyait que tous les trois n'étaient pas des débutants dans le domaine.



Une bonne ambiance à table :


           Au dîner, un très bon dîner, les présentations ont été faites un peu plus largement – pour me présenter, mon discours est bien rodé ; et il y eut des discussions sérieuses qui permirent de mieux cadrer les uns et les autres, elles étaient entretenues par Claudine, qui présidait en quelque sorte cette tablée – voir la photo prise le lendemain matin au petit-déjeuner.

            C'étaient des discussions classiques. Chacun a expliqué la gestion de ses petits problèmes en route : Cette angoisse d'être seul dans les grandes plaines, laquelle est encore plus forte en forêt, et qu'il faut apprendre à maîtriser. J'ai bien connu cela, à la 2e étape, avant d'arriver à Champlemy, mais comme l'a dit quelqu'un cela s'apprend, se prépare. Ou la petite douleur qui apparaît au pied, et qui disparaît, pour ressortir à l'épaule : l'expérience là aussi permet d'anticiper, en revoyant le lacement des chaussures, les réglages des bretelles du sac qu'il faut refaire de temps à autre et un rangement équilibré des affaires dans le sac, sans compter les conséquences de certaines postures propres qu'il faut là aussi apprendre à les repérer et à les corriger. Et sur le fait que pour certains équipements, il ne faut pas non plus se cantonner aux petits prix – « bon marché coûte cher », dit-on. Ou encore la beauté des paysages : savoir se donner du temps pour apprécier son chemin, la gestion du temps est importante et ne vient pas naturellement. Chacun donna aussi son avis sur une grande question qui reste malgré tout ouverte, et ce quelle que soit l’expérience acquise : pourquoi les pèlerins reviennent toujours sur les chemins de Compostelle ? À ce sujet, les avis des uns et des autres sont toujours intéressants.

            Pendant la nuit, je n'ai pas entendu un seul ronflement, et pourtant, il y en a un qui avait pris soin d'avertir qu'il lui arrivait de ronfler un peu, pour s'excuser par avance en quelque sorte, ce à quoi les autres ont convenu que c'était plus ou moins leur cas aussi. La nuit ne pouvait être alors que bonne !

            Le lendemain, au cours d'un excellent petit-déjeuner, il y eut encore de grandes discussions, sur des sujets plus simples, plus habituels, comme le sport. Le président de la FIFA, Sepp Blatter, par exemple, fut placé sur la sellette, la suite montre aujourd'hui que l'anticipation était bonne. Chacun donna son avis sur la professionnalisation du sport, sur le dopage, sur l'argent dans cette activité in fine !  Quant à moi, j'ai développé la thèse des méfaits du système du cumul des mandats dans le temps et de la financiarisation à outrance dans tous les domaines de la vie en société.

            Au finish, chacun est parti de son côté. J'ai été le premier à sortir du bâtiment. Et ce n'est que deux jours plus tard que j'ai revu Jean-François aux Billanges.



La Souterraine, un peu d'histoire(s) :

            C'est Claudine qui nous parla de l'église de La Souterraine : L'église Notre-Dame (XIe – XIIe siècle) est une étape du pèlerinage de Saint-Jacques depuis longtemps ; sa crypte est un ancien sanctuaire gallo-romain, et elle possède deux puits et des coffres funéraires ; ce n'est que plus tard que fut construite l'église et toutes les fortifications de cette butte.

            Dommage que je n'aie pas eu le temps de la visiter – l'idéal aurait été d'avoir à sa disposition un guide comme à Neuvy-Pailloux dans l'étape avant Châteauroux.

            Claudine nous laissa entendre à un moment qu'elle aurait bien aimé parler de l'influence des Celtes dans l'histoire de ce lieu ; c'était comme si elle attendait une demande de notre part. Personne n'ayant réagi dans ce sens, ce thème ne fut pas abordé. J'ai regretté que personne ne lui ait donné l'occasion de se faire plaisir en se lançant sur un sujet qui, me semble-t-il, l'intéressait au plus haut point – j'aurais dû le faire... Quelle que soit sa position propre, il est toujours agréable d’entendre quelqu’un développer sa thèse sur une de ces questions qui traversent toute l’histoire des hommes.

            Cela m'aurait m'intéressé qu'elle nous parlât du champ magnétique terrestre qui influence le vivant, du choix des croisements de lignes telluriques positives dans le sol – qui augmenterait l'énergie vitale des êtres vivants – pour l'implantation des lieux de culte des Celtes, et de la reprise plus tard des mêmes lieux par les Chrétiens. Et qu'il y aurait en conséquence un lien avec le tracé de 3 voies de Compostelle, c'est-à-dire Le Puy, Arles et Vézelay... bien qu'à ma connaissance aucune donnée archéologique, scientifique et/ou historique ne permette de valider sérieusement cette dernière hypothèse.

            J'aurais même pu faire preuve d'un peu d'humour en demandant à Claudine si le gîte d’étape « Le Coucher du soleil », étant donné le sérieux avec lequel des discussions y ont été menées, ne se trouve pas lui aussi à un nœud de lignes de force telluriques positives... Quoiqu'il ne soit pas impossible non plus qu'un druide de l'époque celtique eût été pour quelque chose dans le choix de l'implantation d'une ferme en ce lieu...laquelle ferme est aujourd’hui devenue un gîte pour les pèlerins de Compostelle.

La Souterraine, encore un lieu à revoir !