Étape
37 : d'Ostabat à Saint-Jean-Pied-de-Port : 22 km :
lundi 22 juin 2 015.
Photo : Je suis à nouveau à la porte Saint-Jacques, à
Saint-Jean-Pied-de-Port.
Un
contexte particulier pour cette dernière étape :
Ce
qui caractérise cette dernière étape, et qui marque la différence par rapport à
toutes les autres depuis le départ à Vézelay, c'est une présence importante de
pèlerins sur le chemin. Il y en avait de partout, parce qu'ils arrivaient des 3
voies, et particulièrement de celle du Puy.
Il y
a toujours des petits coins à visiter à Saint-Jean-Pied-de-Port, mais surtout,
bien que la capacité d'accueil de cette ville soit importante, vu la
fréquentation, il faut toujours garantir sa place, son lit. Je ne sais pas
pourquoi mais nous n'avons pas discuté de gîte dans le groupe ; comme nos
routes divergeaient à partir de ce point, chacun reprenait naturellement sa
liberté de gérer le passage en cette ville. Alain reste un jour sur place avant
de poursuivre son long périple par les Pyrénées pour rejoindre le Camino del
Norte, faire le nord de l'Espagne par le Camino Francés, dans l'autre sens en
quelque sorte, et terminer par la remontée jusqu'à sa maison dans la
Sarthe ; Cor continue par le col de Roncevaux jusqu'à Santiago, par le
Camino Francés ; et moi, je rentre à Paris. Pour chacun, quel que soit son
but, le chemin continue, d'une manière ou d'une autre.
Le
déroulement de l'étape :
Après
la D 933, ce fut une petite route empierrée, puis j'ai retrouvé sans tarder la
route goudronnée.
Un
peu plus loin, nous sommes passés par un petit hameau, le balisage étant
toujours irréprochable.
Le
chemin colle bien au terrain du Pays Basque ; il descend, il monte,
franchit des ruisseaux quand il ne les longe pas, mais toujours sans qu'il y
ait de vraies difficultés.
Un
peu plus loin, il continue pendant un bon moment sur les collines surplombant
la route départementale, ce qui fait que le marcheur a un bon coup d'œil sur
les paysages.
Nous
sommes passés ensuite sur la D 522 pour reprendre la 933, à suivre jusqu'au
carrefour de la D 120. C'est dans cette partie, alors que Cor et Alain
restaient accrochés à leurs téléphones, que je me suis retrouvé devant ;
et c'est ainsi que je suis arrivé le premier à Saint-Jean-le-Vieux.
Nous
avons mangé sur la place en face de la chapelle, il y a des bancs à l'ombre.
Beaucoup de pèlerins à vélo ou à pied y faisaient un arrêt assez prolongé avant
de terminer la dernière petite partie de cette étape.
Une
pèlerine à vélo :
J'avais
fini de manger, Alain et Cor étaient au bar d'en face à prendre un café, quand
j'ai vu arriver une pèlerine à vélo ; c'était un superbe engin avec deux
grosses sacoches à l'arrière au point que cela me paraissait un peu lourd à
manœuvrer sur les petites routes ; et qu'il fallait des muscles pour faire avancer
une machine si chargée – je n'ai pas voulu être indélicat en cherchant à
vérifier s'il y avait un dispositif électrique pour soulager la cycliste dans
les montées. Elle n'était pas très à l'aise à la descente de son vélo, et ce
n'est qu'après que j'ai compris qu'elle avait un léger handicap. Et elle me le
confirma dans la discussion générale que nous avons eue : elle a un
handicap à une jambe, et elle utilise presque uniquement la jambe valide pour
entraîner les pédales. C'est une Hollandaise, et Cor a ensuite longuement
discuté avec elle ; elle parle bien le français, qu'elle a appris à l'école. Je
lui ai dit qu'elle était très courageuse d'entreprendre une telle expédition,
mais elle avait un moral terrible. Je l'ai revue en fin d'après-midi à Saint-Jean-Pied-de-Port,
à pied, toute souriante, à l'aise. À
voir les autres heureux, cela m'apaise toujours.
Le
gîte, et mes billets de train à la gare :
Pour
la suite du chemin, je suis parti devant, car contrairement aux deux autres,
j'avais une priorité à assurer : certes, une place dans un gîte, mais,
surtout, j'avais à retirer mes billets de train pour partir dans le bus SNCF de
Saint-Jean-Pied-de-Port à Bayonne, départ à 5 h 45 le lendemain
matin. Et il ne devait pas y avoir de couac si je ne voulais pas prendre le
risque de rater mon avion le jour suivant pour rentrer à la Réunion.
Sélim,
le jeune musulman :
Le
gîte municipal « Association de la vieille Navarre » est juste
derrière la porte Saint-Jacques, dans la rue de la Citadelle. Mais j'ai dû
attendre un peu avant son ouverture. Trois autres pèlerins m'avaient
précédé : deux Coréens, figés comme des statues, et un Français, Sélim,
qui parlait beaucoup, et ne tenait pas en place. Il est venu spontanément vers
moi, ravi de trouver un autre Français. Ce jeune, même pas trentenaire à mon
avis, qui vient de la région parisienne, est vraisemblablement un musulman ; il
se disait ouvertement en butte avec son environnement habituel et totalement
incompris – il a vendu des affaires, et il s'est lancé sur le chemin de
Compostelle, afin de faire le point sur sa vie, sur lui-même. Je n'ai pas
cherché à en savoir davantage, je lui ai tout simplement dit que c'était une
bonne décision, et qu'il lui revenait maintenant de bien vivre son chemin.
Il
n'y avait pas de queue à l'ouverture du gîte ; et c'est une dame, qui
parle un peu le français, qui enregistrait les arrivées. Quand est arrivé le
tour de Sélim, juste devant moi, il a commencé par dire à la dame qu'il n'avait
que 8 € et qu'il ne donnera les 2 € manquants qu'après avoir fait un tour en
ville, sans doute pour chercher un gabier. La dame est restée impassible,
inflexible, malgré les supplications de Sélim : sans s'expliquer, c'était
non, de la tête ! Quand elle avait le regard sur moi, j'ai essayé par des
signes de la main de lui faire comprendre que je prendrai à ma charge les 2 €
en réglant ma propre place, mais elle n'a pas moindrement cillé. Et il y a eu
un moment d'attente... Plongeant la main par hasard dans ma poche, j'ai trouvé
une pièce de 2 €, que j'ai passée à Sélim sans rien lui dire. Il a payé sa
place, et, en partant, il m'a gratifié d'un sonore : « Que Dieu te
protège ! ». Le soir, j'étais déjà au lit quand il est venu me rendre
les 2 €.
Le
lendemain matin, j'étais le premier à me réveiller, puisqu'il fallait être très
tôt à la gare SNCF. Je finissais de boucler mon sac dans l'espace cuisine, dans
le dortoir les ronflements se faisaient encore entendre, quand Sélim débarqua.
Je ne savais pas où ranger les deux tablettes de chocolat qui m'ont été offertes
par Cor, quand l'idée me vint d’en donner une tout de suite à Sélim – rien qu'à
regarder ses yeux, je crois que cette tablette allait être dégustée avec
plaisir. Je lui ai dit dans quelles circonstances je l'avais obtenue, et au
moment où je quittais le gîte, aux environs de 5 h 15, il m'a
accompagné jusqu'à la porte en me gratifiant à nouveau d’un « Que Dieu te
protège ! ». J'aurais bien aimé savoir la suite du chemin de Sélim...
Ma
carte bancaire ?
S'il
est un objet qui réclame beaucoup de précaution, c'est la carte bancaire. Quand
les billets de train sont réservés avant la marche, pour les retirer dans
n'importe quelle gare de France, et valider l'opération, il faut présenter la
même carte bancaire dont les références ont été transmises par téléphone ou par
Internet.
Le
jour de mon arrivée à Saint-Jean-Pied-de-Port, une fois bien installé au gîte,
je suis descendu à la gare SNCF qui est en dessous de la ville historique. À
mon arrivée, il y avait une petite affluence à l'unique guichet, et l'employé
de service semblait prendre du plaisir à faire durer les choses, il est vrai
que la plupart des partants n’avaient pas fait leurs choix à partir de
Bordeaux, en ce qui concerne les horaires des trains. Ce fut bien plus rapide
pour moi : j'ai donné mon numéro de réservation et ma carte bancaire, et
j'ai reçu mes billets. Et j'ai aussitôt entamé la remontée vers la ville, il y
a toujours des choses à voir ou à revoir à Saint-Jean-Pied-de-Port. J'avais
fait un peu plus de la moitié du chemin de retour quand il me vint l'idée de
vérifier si j'avais bien ma carte bancaire. Et j'ai eu beau fouiller dans
toutes mes poches, je ne l'avais plus ! J'ai été obligé de faire arrière
illico presto, en priant pour que je puisse la récupérer au plus vite. Et c'est
le cœur battant que je me suis précipité au guichet où des voyageurs n'étaient
pas encore servis. Et à une certaine distance, j'ai vu que la pochette bleue de
ma carte était toujours près du guichet. Je l'ai reprise sans que personne ne
s'intéressât en quoi que ce soit à mon geste. Je n'ai pas eu la moindre
remarque ni le moindre regard, chacun était au fond de ses préoccupations du
moment. Avant de remonter, j'ai vérifié à nouveau que j'avais bien mes billets
dans ma poche. Je me suis dit avec tout le sérieux dont je suis capable :
Merci Mon Dieu de m’avoir protégé !
La
visite de Saint-Jean-Pied-de-Port :
Il y
avait foule dans la vieille ville, surtout en fin d'après-midi, et c'est la 3e
fois que j'arpente les rues pavées. Un passage à l'église, et aussi dans des
petites boutiques que je ne connaissais pas. Mais j'avais surtout une
réservation à faire pour notre groupe le soir : en effet, depuis quelques
jours, j'avais décidé d'inviter au restaurant Alain et Cor, et je le leur avais
dit, car cette ville était le terminus pour moi, alors que les deux autres
étaient encore loin du bout de leur peine, et ce d'autant que leurs propres
chemins justement divergeaient à partir de ce lieu. Sur le chemin, des groupes
de pèlerins se forment…jusqu’à ce que les priorités des uns des autres
divergent… C’est aussi la loi du Chemin !
Un
bon dîner, chez Dédé :
À mon
retour de la visite de la ville, j'ai retrouvé Alain et Cor au gîte municipal,
mais ils étaient dans un autre dortoir. Je leur ai dit de se tenir prêt à 19 H,
une table est réservée « Chez Dédé » ; à l'heure dite, nous
avons descendu la rue de la Citadelle, et tourné à droite à la première
intersection, le restaurant se trouve près de la porte dans les murs de la
vieille ville. Je leur ai quand même expliqué que je voulais manger le plus tôt
possible parce que le lendemain matin, je devais me réveiller de très bonne
heure de façon à prendre le bus, à la gare, à 5 h 45. J'escomptais du
temps pour dormir, un long voyage m'attendait : un bus de
Saint-Jean-Pied-de-Port à Bayonne, et un TGV de Bayonne à Paris en passant par
Bordeaux. En réalité, je me suis très peu reposé, il y avait un jeune ronfleur
de fond qui a tenu le dortoir éveillé toute la nuit.
À
l'apéritif, en mettant des formes, j'ai tenu à dire quelques mots avant de passer
aux choses sérieuses, l'important était de les remercier – et j'ai demandé à
Alain de traduire en anglais pour Cor, chaque petit bout de phrase : Merci
de m'avoir supporté pendant ces 14 jours passés ensemble ; j'ai une autre
façon de gérer mon temps de marche et de repos, mais j'ai appris avec vous, par
exemple à élargir et à varier davantage l'alimentation, plus de fruits et de
laitages. Je vous souhaite une bonne continuation puisque vous êtes au cœur de
la réalisation de vos projets. De toute façon, le chemin continue.
Toujours ! Et beaucoup de bonheur dans vos vies ! Nous avons toujours
quelque chose à changer dans nos vies, pour nous-mêmes et pour les autres.
Faites de bonnes rencontres dans la suite de vos périples. Je salue les grands marcheurs
que vous êtes !
Cor a
tout de suite plongé sa main dans le petit sac qui ne le quitte pas, et il en a
sorti des cadeaux : à Alain, une bouteille de vin ; et à moi, deux
tablettes de chocolat. Il a été vivement remercié pour ce geste
inattendu !
Très
bon repas chez Dédé : salade, poulet, jambon, frite, vin rosé et rouge,
glace et gâteau et patxaran – c'est une liqueur du Pays Basque, issue de la
macération de prunelles sauvages dans de l'alcool anisé ; un digestif que
j'ai découvert en Espagne en 2 011.
Je
suis rentré dès le repas terminé, pour gagner un peu plus de temps à dormir,
avant de partir très tôt du gîte le lendemain ; je ne savais pas alors que
je n'allais pas trouver le sommeil. En rentrant, les rues étaient totalement
désertes, ce qui crée un cadre propice à la réflexion : il y a toujours un
petit peu de nostalgie à quitter le chemin, surtout quand les amis se
retrouveront encore sous leurs sacs à dos le lendemain.