lundi 24 février 2020


Étape 28 : de La Réole à Bazas : 24 km.


Résumé de l'étape :

            En fait, une petite étape, moins de 24 km, vu que nous sommes partis de Pondaurat. Nous nous sommes vite retrouvés à l'entrée de la forêt des Landes de Gascogne, au sud-est de Bordeaux. Contact a donc été pris avec les premières plantations de pins, qui signalent l'approche de cette forêt landaise.

            Une petite étape agréable, les indications du Lepère collaient parfaitement à la réalité du terrain, sauf dans la dernière partie où nous avons dû, par exemple, traverser un champ de boue, et toujours avec même le doute de ne pouvoir assez vite retrouver le bon chemin. Vraisemblablement, c'est un propriétaire qui a dû retirer son agrément au passage dans son champ, et qui l'avait inondé pour pouvoir le travailler plus facilement. Et il a fallu continuer dans la boue, traverser un petit ruisseau, les balises ne sont réapparues que sur l'autre rive. J'étais passablement énervé, car c'était le comble que de patauger dans la boue alors que le temps était au beau, et ce
d'autant que j'avais une sensibilité à mon gros orteil gauche, l'ongle commençait à bleuir, signe de frottements importants et inhabituels et de l'urgence à revoir les lacets des chaussures. Mais la récompense était au bout, avec l'arrivée sur la belle place de la cathédrale Saint Jean-Baptiste, à Bazas, où le marché était encore suffisamment animé malgré l'heure avancée de la matinée.

Le déroulement de l'étape :

            Nicole nous avait préparé un excellent petit déjeuner, et avant de partir elle nous avait conseillés de ne pas rater la visite de l'église de Pondaurat.

            Après avoir descendu la petite colline où se trouve la maison des Jamain, nous avons pris la route principale, et, après 100 m à peine, nous avons descendu la petite entrée qui conduit à l'église Saint-Antoine, qui a été récemment restaurée, et qui d'après Nicole est toujours ouverte. Mais elle était fermée, sans doute, nous étions un peu trop matinaux.

            Et nous avons enchaîné avec le pont médiéval – à la lecture des documents préparatoires à cette étape, je n'avais pas attaché d'importance à ce pont, et je n'ai pas pris de photo, mais j'ai été surpris de découvrir, in situ, le caractère particulier de ce point de passage, qui était au Moyen Âge un péage : les pierres de cette construction sont de couleur dorée, c'est donc un pont doré, d'où, sans doute, l'origine du nom du village Pondaurat. Et cette couleur contraste nettement avec les décors verts des environs du cours d'eau, elle surprend même !

            Nous avons continué sur la D12, direction Savignac, et rencontré le balisage jacquaire européen. Plus loin, nous avons pris une petite route goudronnée, direction Cadillac, tout en suivant les préconisations du Lepère. Après la D12, ce fut la D15 pour entrer à Auros. Et la forêt landaise se fait alors de plus en plus présente.

Nous avons ensuite enfilé de petites routes de campagne, et la D 9 nous a menés à Bazas (voir photo).

Sur la fin de cette étape, nous nous sommes trompés, les préconisations du guide ne collaient plus à la réalité du terrain. C'est ce qui arrive assez souvent, mais le tout est de savoir se rattraper, tout en essayant d'apprécier la balade, et ce d'autant que l'étape n'est pas longue.

La place du Marché à Bazas :

            C'est par une petite rue très pentue bordée de vieilles maisons que je suis arrivé à côté de la cathédrale Saint Jean-Baptiste, et j'ai débouché sur la place du marché (voir photo). Quel contraste ! C'était le jour du marché, et malgré l'heure avancée de la matinée, il y avait encore beaucoup de gens qui circulaient entre les étalages. Sur le côté droit de cette place en légère descente, les terrasses des bars restaurants étaient remplies de clients – il y en avait même qui pour manger devaient attendre le départ de ceux qui finissaient de prendre un verre.

            Alain et moi avions fini par avoir une petite table tout près du parking (voir photo), et nous avons commandé un petit repas simple – sur la petite surface de la table, le serveur a eu des difficultés à caser verres, assiettes et autres ustensiles.

            C'est un magnifique poste d'observation des allées et venues sur cette place, et c'est ainsi que j'ai vu remonter un pèlerin qui, sans doute, avait déjà fait une petite reconnaissance des lieux, et que j'ai revu un peu plus loin dans plusieurs étapes.

            Il y avait une ambiance de quartiers animés de grandes villes. Nous avions pris tout notre temps pour déjeuner, car il nous fallait attendre l'ouverture de l'office de tourisme, à la mairie qui se trouve en face, un passage incontournable pour se faire enregistrer au gîte municipal et obtenir les clés du refuge (voir photo, et photo).

Le gîte municipal, et encore une serrure à code !

            Comme c'est souvent le cas dans ces communes, c'est un grand bâtiment, hier sans doute une maison bourgeoise que la commune a récupérée pour des activités associatives. Et ce fut en quelque sorte ma 3e serrure à code sur cette voie de Vézelay, et, qui comme pour les deux autres ne peut s'empêcher de jouer des tours aux pèlerins.

            À notre premier passage, le digicode ne nous a causé aucun problème. La porte s'ouvre sur un classique couloir, et, au bout, un large escalier donne accès à l'étage. Le petit dortoir est dans une chambre. Et ce fut la première surprise du jour : nous avons dû essayer tous les deux d'ouvrir cette porte avec la clé qui nous a été remise à l'office du tourisme, sans que nous ayons réussi – et si les serrures normales se mettent aussi à tourmenter les pèlerins ? Et nous avons alors découvert sur la porte une affichette qui donne les dispositions à prendre, pour tout un protocole de pressions à exercer sur le battant avant de tourner la clé et d'actionner la poignée de la porte. À deux, la situation était assez comique, mais à se retrouver tout seul devant ces petites difficultés, l'ambiance aurait été d'une tout autre nature.

            Mais le clou de cette journée fut au notre retour du restaurant – c'est vrai que nous avions bien mangé et bien bu, mais, à deux, et chacun à son tour, il est difficile de se tromper en entrant un code à 4 signes. Je riais, à la seule perspective d'aller dénicher un responsable communal un samedi à cette heure, pour peu qu'il en existât un de disponible, pour lui dire qu'il faudrait que la serrure soit fracturée de façon que l’on puisse passer la nuit à l'abri, car il pleuvait par intermittence. Mais je savais bien, étant donné que j'avais déjà une petite expérience dans l'ouverture des vieilles portes en bois portant serrure à digicode que tout est dans un doigté pour que la serrure se déclenche. Ah, s'il faut maintenant prévoir aussi un petit stage d'ouverture de porte de gîtes à digicode dans la préparation des pèlerins !

Un pas de plus dans l'intégration au groupe :

            Alain m'a demandé de préparer ensemble les étapes restantes jusqu'à Saint-Jean-Pied-de-Port, Cor étant toujours partie prenante après les deux jours passés en famille : le découpage en 9 étapes, sans dépasser les 30 km, et une réservation commune. Il était important, pour moi, de finir la marche en étant assuré d'être à Paris la veille de mon retour en avion à la Réunion. Nous n'avons pas mis longtemps à nous mettre d'accord, et spécialement à modifier 2 de mes découpages prévus au départ. Mon intégration au groupe devenait plus complète, et le lendemain matin, j'étais partie prenante dans les pâtes préparées par Alain pour la journée.

Un petit dîner en ville :


L'orage menaçait toujours, mais la pluie ne tombait pas fort. Il a fallu se couvrir pour aller dîner.

Nous avons mangé de la bonne viande de bœuf, il est vrai que nous étions sur les terres de la reine des viandes : « La blonde d'Aquitaine ». Cela faisait longtemps que je n'avais pas mangé un bon steak.

Nous étions les premiers arrivés au restaurant, les pèlerins mangent tôt pour gagner du temps la nuit où ils doivent récupérer au mieux de la fatigue de la journée.

Un clochard un peu réconforté...dans mon imaginaire ?

            Je l'avais repéré en allant au restaurant. Il se signalait de loin, et comme il faisait encore jour, les clients du soir étant encore chez eux, cette grande place était pratiquement vide.

En fait, c'était un échange entre deux personnes : d'un côté, un personnel de service à une terrasse qui de la voix, sans doute afin de « protéger » l'espace réservé à sa clientèle, maintenait à distance un clochard, certes pas encore trop déglingué, et ni trop éméché en cette circonstance ; de l'autre côté de la petite rue, ce clochard lui répondait d'une voix encore plus forte – il m'a semblé qu'il revendiquait le droit de venir s'asseoir à ladite terrasse. D'un côté comme de l'autre les mots étaient incompréhensibles, mais mon impression était que chacun défendait un espace : le serveur, sa terrasse ; le clochard, sa liberté de venir s'y installer. Mais bien plus dans un jeu de rôle que dans un affrontement – cette joute entrait peut-être dans leurs habitudes. Mais en passant dans cette petite rue, je n'ai pas regardé les deux jouteurs, ni fait la moindre remarque à Alain.

            En sortant du restaurant, dans cette petite rue qui mène à cette place, à une certaine distance, par les éclats de voix, j'ai constaté que la pièce de théâtre était toujours en cours. Mine de rien, je me suis déporté du côté du clochard, et j'ai préparé une pièce de 2 € que je lui ai remise en passant et sans m'arrêter – il en a, d'ailleurs, été un peu surpris. Je me suis rabattu aussi vite de l'autre côté de la rue, et, sans me retourner, j'ai filé en direction du gîte.

            Rien qu'à l'oreille, il m'a semblé que j'avais donné du tonus à « mon » clochard dans son discours. C'étaient plus des sons que des mots articulés ; j'ai alors essayé d'imaginer ce qu'il pouvait lancer à son interlocuteur, et pour moi c'était du genre : maintenant, tu ne pourras pas m'empêcher de m'asseoir à ta terrasse, je peux me payer un petit verre. Ma liberté ! Quelles que fussent les positions des deux acteurs, la pièce étant publique, les spectateurs avaient aussi la liberté d'interprétation.

Je ne sais pas quelle a été la suite dans la réalité. En tout cas, je n'ai pas touché un seul mot à Alain à propos de ce que mon imagination avait sans doute brodé. Mais je me disais quand même : ah si tout cela pouvait être vrai !

            C'est, après coup, tout en riant en moi-même, que je me suis souvenu d'un événement comparable dans une certaine mesure, et que j'ai vécu, il y a longtemps. À la sortie d'un restaurant, à Marseille, non loin des célèbres escaliers de la gare Saint-Charles, un samedi soir, 6 à 7 étudiants réunionnais venaient de faire un bon repas, et il n'était pas question pour eux de rentrer à la cité universitaire sans aller prendre un dernier verre dans les environs de La Canebière, qui à cette époque avait une tout autre allure qu’aujourd’hui. Sur le trottoir d'en face, il avait une clocharde qui était à son point habituel dans l’espoir d’obtenir quelques pièces des clients sortant de ce restaurant. V, le plus ancien de la bande, une grande intelligence et un habitué de la transgression, que certains pourront reconnaître, et qui malheureusement est parti trop tôt de ce monde, est allé carrément inviter cette dame à venir boire un dernier verre, sans demander l'accord de personne. Il n'y a eu d'ailleurs aucune résistance, et aucune contestation de qui que ce soit. Il a offert un bras à cette personne, et il a mis à l'autre bras le sac à main de cette dame. Et la petite bande – V et « sa dame » en tête – a descendu gaillardement mais dignement le boulevard d'Athènes, où il y a toujours une grande circulation, jusqu'à la terrasse d'un grand bar aujourd'hui disparu. Il n'y a eu aucune remarque déplacée. Bien entendu tout ce monde a pris plus d'un verre, et la dame est ensuite repartie, tout aussi dignement, sans doute pour reprendre un autre poste devant un autre établissement.   

Une bonne nuit, sans aucun bruit :

            La nuit a été tranquille ; je n'ai pas entendu le moindre bruit si ce n'est le crépitement de la pluie sur la vitre de la fenêtre entre deux cycles de sommeil. Le dortoir est petit, en 2X2 lits, mais à deux seulement, il y a suffisamment d'espace pour ne pas gêner en quoi que ce soit le voisin.

Le matin, dans la petite cuisine au rez-de-chaussée nous avons préparé notre petit déjeuner, et Alain ses pâtes pour la route.