Étape 20 : Dimanche 27 mai 18 : Triacastela
Je devais couper
un peu cette étape, mais les hébergements à mi-parcours ne me plaisaient pas
dans les petites villes, je me suis donc « taper » les 31 km prévus.
Plus un ratage de borne au prix de 2,5km de descente, et autant pour remonter
au point de décrochage du balisage, ce qui fait que j’ai eu à gérer une étape
de 36 km.
Rien à regretter,
c’est aussi ça le chemin ; et j’ai eu à l’arrivée une albergue
« toute fraîche » à côté du restaurant connu depuis les deux derniers
passages, en 2 011 et 2 015. Et j’ai fait la connaissance d’un pèlerin
réunionnais au restaurant, le soir – nous avons diner ensemble, en nous
racontant nos expériences sur le chemin.
Cette étape, au
départ de Ruitelan (un petit village au pied de la montée d’O Cebreiro), je la
connais, elle restera bien calée dans ma mémoire ; elle est longue, mais
je ne me voyais pas gîter à O Cebreiro, où il fait très froid la nuit, et où il
y a un trop petit espace à visiter, à découvrir, si ce n’est un très bon et
large coup d’œil sur les environs.
C’était donc
Triacastela, au bas de cette descente d’ensemble, avec quelques petits pitons à
gravir, bien que je sache que l’arrivée se fait attendre sur un tel terrain.
Bien entendu, la
montée vers O Cebreiro m’est apparue plus longue que d’habitude ; il m’arrivait
de deviner le petit village derrière une rangée d’arbres, mais en me
rapprochant, je découvrais qu’il y a toujours une autre belle montée derrière
ces arbres.
Il n’y a pas de
passage à ce sommet sans un bon tour au bar, qui est toujours bien fréquenté ;
et c’est là qu’il faut se sustenter avant de poursuivre son chemin sur les deux
autres tiers du parcours.
Dans le 2e
tiers, après un passage à l’Alto de San Roque, où une grande statue de pèlerin
continue de résister au vent en tenant son chapeau, j’arrive donc devant le
vrai mur à gravir à l’Alto do Poio, un test véritable test de forme à la
condition de ne pas s’arrêter – pour se motiver il suffit de penser qu’au
sommet il y a un bon bar où les pèlerins se restaurent avant d’entamer la
dernière partie où la tendance générale est à la descente mais avec une bonne
partie sur des transversales qui permettent de passer d’un petit relief à un
autre en suivant la LU 651 avant de de plonger vraiment sur Triacastela.
Mais bien avant,
c’est dans une partie où le chemin emprunte carrément une grande route que
j’arrive à une belle plaque qui indique clairement que le camino passe sur la
droite par une petite route qui descend… à côté, un couple d’éleveurs s’occupe
de leurs vaches dans un pré. J’ai vu tout de suite dans ma mémoire la petite
route qui ramène vraiment les marcheurs à l’arrivée. Je demande aux
éleveurs : c’est bien le camino ! ils acquissent. Et me voilà
descendant en marchant au milieu de cette petite route, pré et vaches à droite
et petits bois à gauche, en chantant à pleine voix… mais au bout d’une assez
longue descente, j’entends un gros bruit de moteur derrière moi. Je me range
sur la gauche de la route pour laisser passer le véhicule. Mais je remarque que
si le bruit d’un moteur est toujours là, je ne vois toujours pas passer le
véhicule n’arrive à ma hauteur. Je me retourne et je vois qu’un gros tracteur
qui alors s’avance très lentement vers moi ; et une fois vraiment à ma
hauteur, le chauffeur se penche et me fait signe en bougeant l’index de gauche
à droite… et qui finit par me dire, et en le répétant : pas camino
ici ! Il me désigne ensuite la région sur ma gauche, mais tout à fait en
haut. A force de geste, je lui demande si je ne peux pas le rattraper plus bas
mais en continuant dans cette voie. C’est alors un non catégorique.
Je me suis trompé.
Il ne me restait plus alors qu’à remonter… j’ai dû descendre un bon 2,5 km, il
me fallait donc remonter autant. La première tendance était de le faire
rapidement, mais j’ai réussi à me convaincre qu’il n’était pas question de
rattraper quoique ce soit en vitesse, mais de faire cette remontée en soufflant
bien. Et je ne cessais de me répéter : j’ai bien vu la plaque ; j’ai
bien entendu les éleveurs me dire que c’était bien le chemin. Presque au bout
de cette remontée, il ne me restait plus qu’un petit virage à passer avant de
faire les 100 m pour arriver à la plaque, tout en me répétant que mes yeux et
mes oreilles ne pouvaient pas m’avoir trompé à ce point, et qu’il y avait
quelque chose à éclaircir. Tout d’un coup, je vois un sac à dos qui à distance
coupe cette petite route pour s’engager dans les herbes au bord de cette petite
route. J’accélère le pas… et je fini par voir dans ces grandes herbes une borne
de 50 cm de hauteur presque complètement cachée par la nature. Je ne l’avais
pas vue en descendant ? Et, cette fois encore, qui sait si je l’aurais vue
si un pèlerin n’avait pas emprunté ce petit sentier devant mes yeux. C’est le
bon Dieu qui me l’a envoyée pour me remettre sur le Camino.
J’ai donc repris
le sentier indiqué qui longe la grande route à mi-hauteur pour la rattraper un
peu plus loin. Et j’ai continué encore pendant une bonne demi-heure avant de
retrouver la petite route qui descend vraiment à Triacastella.
Ma mémoire m’avait
joué un tour, et cette erreur a eu un prix : au lieu de 31 km prévus dans
cette longue étape, j’ai dû me taper un 35 – 36 km. Une autre déception
m’attendait à l’arrivée. J’avais décidé d’aller dans la même albergue que lors
de mes deux précédents passages, mais sur place l’hospitalière à mon arrivée
m’a déclaré : c’est complet ! Mais elle m’a indiqué un autre gîte à
50 m à peine, juste à côté d’un restaurant. De nos jours, les gîtes ne se
remplissent pas au gré des arrivées de pèlerins, même pour des basiques à 10-12
euros, mais par des réservations. Ce qui fait aussi que le gros des marcheurs
arrive aussi alors que la nuit est presque rentrée… et que moi je suis déjà au
restaurant avec un lit garanti pour la nuit. Les temps changent, il faut s’y
adapter.
On n’a jamais fini
d’apprendre… j’ai l’habitude de partir très tôt le matin. Mon sac presque fait,
j’ai décidé de faire un tour à l’extérieur pour essayer d’évaluer le temps qui se
fera dans la journée en jetant un œil sur tout le ciel. Et lorsque j’ai voulu
rentrer, j’ai vite compris que la porte d’accès du gîte ne peut pas s’ouvrir de
l’extérieur sans une clé. Heureusement qu’il y avait un autre pèlerin qui se
chaussait non loin de cette porte d’entrée, mais à l’intérieur du bâtiment – il
avait saisi la situation dans laquelle je me trouvais, et m’a ouvert cette
porte d’entrée toute en rigolant. Rien n’est figé dans la vie, c’est aussi un réapprentissage sur les Chemins de Compostelle.