lundi 29 juillet 2019



Publication 3 : 30 juillet 2 019

Dimanche 17 mai 2 015 : avant les premiers pas sur le chemin de Vézelay

Une nuit sans vrai repos :


            Le soir, dans le dortoir, après une journée harassante et surtout pleine de surprises, je m’attendais à trouver un bon sommeil réparateur. Le grand dortoir était pratiquement plein, mais nous n’étions pas les uns sur les autres – il y avait même une séparation bien large entre les deux rangées de lits. Mais pour ce qui est du repos avant la marche proprement dite, ce fut loin d’être le cas.

            La première partie de la nuit s'est bien passée, mais dans la deuxième j'ai été tenu éveillé par un bon ronfleur. Un vrai, qui régulièrement courait derrière sa respiration, et à qui j'aurais pu aussi décerner une médaille d'or dans cette « spécialité ». Ce n'était pas mon voisin immédiat, mais celui de la rangée d'en face – j'entendais aussi d'autres pèlerins qui bougeaient souvent et anormalement au lit, signe qu'ils étaient, eux aussi quelque peu dérangés. Mais comme il se doit entre pèlerins, il n'y a eu aucune protestation ouverte dans le dortoir. Naturellement, pour faire face à cette situation, j'ai essayé de filtrer au mieux cette nuisance en enchaînant dans une certaine mesure les recettes « a minima » classiques : se racler la gorge, tousser un peu fort, etc. Aucun effet, l'homme relançait même sa machine. Comme c'est le plus souvent le cas, il dormait sur le dos, la meilleure position pour exercer son « art ». Peut-être que j'ai dû avoir quelques petites séquences d’un sommeil très léger. À un moment, je l'ai vu se lever et se diriger vers les toilettes, les premières petites lueurs du jour commençaient à apparaître entre des rideaux mal tirés à une fenêtre non loin de mon lit. Quand je l'ai vu repartir à sa place, je me suis dit que la situation allait s'arranger et que je pourrais alors compter sur une dernière petite relance du sommeil, et ce d'autant qu'il s'était mis sur le côté, mais, contrairement à la plupart des « malades », même dans cette position, il a repris aussitôt son concert. Il ne me restait plus qu'à aller faire ma toilette. D’ailleurs, un autre pèlerin de la chambrée ne tarda pas à avoir la même idée. J'ai eu la chance par la suite de ne plus le revoir dans des gîtes ni sur le chemin ; contrairement à moi, il avait sans doute au départ pris la variante de Nevers.

             Partir du moment où j'ai commencé à bouger, et ce malgré des précautions pour éviter de faire du bruit, les autres n'ont pas tardé à se remuer sauf le ronfleur qui, lui, est resté sous sa couverture, sans doute pour se reposer un peu avant de se lever – toute plaisanterie mise à part, il n'est pas sûr qu'il ait lui-même passé une bonne nuit, les apnées du sommeil sont aussi très fatigantes. Arrivé dans la cour, quand j'ai vu que la porte qui donne sur la rue était fermée, j'ai eu envie un moment de retourner dans le dortoir, mais j'ai préféré déposer mon sac 
et je me suis assis sur le perron. J'avais du temps à tuer. Finalement, m'approchant de cette porte, j'ai compris qu'elle était simplement poussée. J'ai repris mes affaires et je suis sorti. Tout le quartier était plongé dans un grand silence. En ce dimanche 17 mai 2 015, à 7 h, Vézelay semblait dormir encore, et il faisait jour. J'ai descendu la rue dans l'espoir de trouver un bar ouvert et de prendre un petit déjeuner. Tout était fermé ; aussi je suis remonté à la cathédrale, car avant de partir, je devais assister à la cérémonie de prières, tellement recommandée par le religieux qui m’avait accueilli.

Un bon petit déjeuner :

            Sur cette place, j'ai remarqué un bar-restaurant non repéré la veille. Dans une salle donnant sur la rue des couverts pour le petit déjeuner étaient déjà mis. La porte d'entrée étant ouverte, je me suis dirigé vers une dame qui s'affairait dans un couloir. À petits pas, sourire aux lèvres, dans le sens où je voulais lui dire comprendre que j’étais bien conscient que je la bousculais un peu pour le service. C'est encore fermé, me dit-elle ; et, après un court moment de silence, elle m'a dit gentiment : et vous voulez ? J’avais réussi mon opération. Elle me dirigea vers une petite salle. Étant le seul client à cette heure, j'ai été rapidement et bien servi : thé, tranches de pain grillé, beurre, confiture, croissant, jus d'orange. J'ai pris tout mon temps, la cérémonie religieuse à côté ne commençait qu'à 8 h. Il faut savoir aussi dans certaines circonstances pousser un peu ce qui est établi. Avec des précautions quand même !

Une belle cérémonie à la cathédrale :

            J'ai eu vite l'impression en entrant dans la cathédrale d'être le retardataire à cette cérémonie. Pourtant, il n'y avait pas beaucoup de monde, mais tout le public participait pleinement aux chants liturgiques. J'étais à peine à ma place que l'hospitalier du gîte avec qui j'avais bien discuté la veille est venu me remettre un livre de prières. Et la religieuse qui menait la cérémonie annonçait régulièrement la page et le numéro du psaume retenu. Tout ce petit monde dans les bancs essayait de chanter au mieux, mais ce sont les religieuses et les religieux qui assuraient l'essentiel. Au bout d'un quart d'heure,
j'étais un peu irrité par ce qui me paraissait être des séries de répétitions, pressé que j'étais de sortir pour tester mon état physique. C'était alors une véritable épreuve de patience. Pourtant, en filmant un peu cette cérémonie, petit à petit je suis entré dans cette atmosphère, et j'ai ensuite ressenti la beauté, la qualité de la prestation des religieuses ; j'étais même, à la fin, comblé quand l'une d'entre elles s'est mise à la flûte. C'était vraiment beau, le temps ne comptait plus.


            À la fin des prières, après une partie dirigée par la mère supérieure, le curé a réuni les pèlerins dans un coin de la cathédrale pour les bénir et leur remettre un opuscule reprenant une partie des évangiles. Après Jean au Puy-en-Velay, c'est avec Luc que je partais sur le chemin de Vézelay – ce petit texte est une réécriture de l’apôtre présentée comme plus adaptée à notre époque ; bien plus tard, après une comparaison avec une bible éditée en 1 955, j'avoue préférer l'ancienne rédaction, bien que je ne sois en aucune façon un vrai pratiquant de l'évangile et encore moins un expert.