Étape
8 : Logroño – Nájera, mercredi 07 mai 2 014, ~ 29,5 km
Photo : La rivière Najerilla à Nájera ; près de
la falaise, en arrière-plan, se trouve l'albergue municipale de la ville.
Résumé
de l'étape :
Sur une telle distance, j'ai le sentiment d'avoir énormément de temps à ma disposition pour tout revoir tellement les efforts sont prolongés : réglages des bretelles du sac, déplacement sur le corps du poids de la réserve d'eau au fur et à mesure que j'avance, vigilance quant aux points possibles pour se restaurer, la prise des photos, la disponibilité des gîtes à l'arrivée, sans compter l'anticipation quant aux prochaines étapes quitte à modifier le découpage déjà mis en place.
Plus
j'avançais, plus je voyais de nouveaux pèlerins sur le chemin, et de plus en
plus nombreux ; ils débarquaient d'un peu partout. C'est que les points de
départ des uns et des autres sont différents.
Les
lieux importants de cette étape : La lente montée jusqu'à l'Alto de San
Anton, en passant par le lac peu de temps après avoir quitté Logroño, puis le
passage à Navarrete, une petite ville sur une colline comme c'est souvent le
cas dans cette partie de l'Espagne, ensuite un arrêt restauration à Ventosa, et
enfin une très longue descente vers Nájera pour terminer par le cheminement
dans cette ville avant d'arriver au gîte.
Dans
cette étape, le chemin n'est jamais bien loin de la N-120.
J'ai
mis un certain temps à sortir de Logroño, cette grande ville dont le
patrimoine, depuis le Moyen Âge, est associé au pèlerinage de Compostelle.
Après une marche sur le plat, la tendance est ensuite à la montée, mais par de
petites bosses, sans plus. La pente devient un peu plus forte à l'approche du
lac de la Grajera, une belle retenue d'eau et une zone de loisirs et de
détente. J'ai été surpris par les dimensions de ce lac, ma mémoire pour ce qui
est de ce site est revenue quand j'ai parcouru les bois environnements où en 2
011 j'avais observé des écureuils. Cette fois-ci, je les ai à peine entrevus,
ils se cachaient vite à l'approche des marcheurs.
Le
chemin passe d'une zone boisée à l'autre, et devant la petite baraque de
Marcelino, un ermite sur le chemin. Je ne lui ai pas parlé, occupé qu'il était
avec d'autres personnes, mais je pense que c'était bien lui, par sa tignasse et
sa barbe blanche et bien fournie qui avaient attiré mon attention dans des
publications concernant cette étape.
Ce
fut ensuite le passage par un point en hauteur, pour descendre et longer en
surplomb pendant un bon moment la N-120. Le regard est alors attiré par les
croix faites de bois morts que des pèlerins glissent dans les mailles du
grillage qui protège le chemin du fossé bordant la grande route. Dans cette
partie, le marcheur ne peut pas rater cette grande sculpture d'un taureau noir,
toute une symbolique pour la région. Au loin la vue porte déjà sur une partie
de Navarrete, sur une colline ; et après une légère descente, c'est le
passage devant les ruines de l'hôpital de Saint-Jean d'Acre du XIIe siècle
pratiquement au pied de Navarrete.
Il
m'a suffi de monter sur la colline pour me retrouver dans cette ville – j'étais
à la recherche d'un bar après la belle Iglesias d'Asuncion (XVIe
siècle) – Quelle fraîcheur dans cette église ! Mais je ne l'ai pas trouvé.
Je suis sorti assez rapidement de cette agglomération.
Je
me suis retrouvé plus loin sur de longues lignes droites à utiliser mes raisins
secs en attendant Ventosa non loin de l'Alto San Anton où j'ai pris un vrai
petit-déjeuner vers les 11h. La piste débouchait alors sur une route asphaltée,
et à l'entrée de cette agglomération se trouve un bar moderne, bien équipé, où
je me suis fait plaisir : je me suis installé à une table et j'ai pris mon
temps pour manger un croissant et boire un thé, tout en utilisant la Wi-Fi de
l'établissement pour envoyer photos et messages – j'ai même pris la précaution
d'acheter un bocadillo jambon, de quoi tenir jusqu'à Nájera. Il y avait plein
de pèlerins, aussi bien en terrasse qu'à l'intérieur de cet établissement.
Puis,
je me suis engagé dans la longue descente qui mène à Nájera. C'est dans un
petit bois non loin de l'arrivée que j'ai apprécié mon sandwich au jambon.
Cette
longue descente en pente douce sur un peu plus de 8 kilomètres à travers toutes
sortes de paysages est usante. J'ai traversé une zone industrielle, un bois
bien vert et bien fourni avec un pont sur un petit cours d'eau qui m'a quelque
peu rafraîchi vu que le soleil avait tapé toute la journée, une zone de dépôt
de décombres de toutes sortes ; j'ai aussi admiré avant d'entrer vraiment
dans la ville des petites constructions en forme d'igloo, mais en pierres de
tailles parfaitement bien assemblées et cimentées – je n'ai pas réussi à
deviner l'usage que les promoteurs en attendent – et, pour finir, il m'a fallu
tirer sur deux bons kilomètres dans la ville avant de me retrouver sur le grand
pont franchissant la rivière Najerilla.
Pendant
toute cette descente, j'ai un peu calqué mon pas sur un pèlerin qui était
devant moi, et qui avançait dans une parfaite décontraction, bien qu'au début
j'aie cru qu'il était très fatigué – en fait, je suis même sûr qu'il
ralentissait pour se faire dépasser. C'est dans les étapes suivantes que j'ai
fait sa connaissance ; quand je l'ai revu dans un groupe, j'ai même cru
qu'il était muet, mais il était la discrétion même : un Canadien
anglophone, très cool et marcheur solitaire.
Arrivé
au bout du pont sur la rivière en pleine ville, un jeune, voyant sans doute que
j'hésitais sur la direction à prendre, m'a donné des renseignements : vous
avez à côté des chambres à 30 €, et là-bas, au fond, le donativo municipal,
m'a-t-il dit. J'ai choisi la solution la plus simple, une albergue que je
connaissais d'ailleurs pour m'y être arrêté en 2 011. Je n'ai pas traîné, car
je savais qu'il y avait bien des pèlerins devant moi, et autant sur mes talons.
L'albergue
municipale de Nájera :
La file d'attente n'était pas grande à mon entrée dans ce gîte. Rien n'avait changé, que ce soit à l'extérieur ou à l'intérieur, quoique l'environnement immédiat ait enregistré des améliorations sûres, près de l'école notamment, et par de nouvelles constructions contre la falaise. En regardant cette petite baraque allongée, il est difficile de s'imaginer que 90 pèlerins puissent y passer la nuit. Cette fois-ci, j'étais placé pratiquement près de l'entrée du dortoir. C'est que je me suis contenté d'aller au numéro que l'hospitalier m'avait attribué, avec l'avantage qu'en partant de mon lit – j'ai eu la chance d'en avoir un en bas –, je pouvais accéder rapidement aux toilettes, non loin de l'accueil. Une vraie chance, car, dans la nuit, je me suis retrouvé dans l'obligation d'y aller illico, et par deux fois. Bien sûr, je craignais d'avoir attrapé une tourista classique, d'autant que cette fois-ci je n'avais pas emmené un médicament pour stopper un tel inconvénient puisque les autres années je ne m'étais jamais retrouvé dans une telle situation.
Je
n'ai pas perdu de temps à mon arrivée, je suis allé à la douche aussi vite que
j'ai pu, et j'ai bien fait : il n'y en avait que deux, comme pour les
lavabos, les Wc, et même les bacs de lavage dans une autre pièce un peu plus
loin, ce qui promettait un peu d'attente au réveil de bon matin.
Dans
la petite salle des douches qui se remplissait de vapeur d'eau au fur et à
mesure des passages, j'ai dû attendre mon tour, pour me rendre compte que le
système fonctionnait assez bien, même si l'évacuation des eaux était limite
compte tenu d'une utilisation plus que poussée, le plus important pour les
marcheurs était d'avoir de l'eau chaude pour bien délasser le corps.
Comme d'habitude, ce fut ensuite le lavage du linge, mais je ne retrouvais plus mon savon, oublié sans doute dans les douches, et après y être allé jeter un œil, je me suis rendu compte qu'il avait vraiment disparu. Rencontrant Suzy la Québécoise, qui était déjà prête à faire un tour en ville, et à qui je racontais l'épisode du savon, elle m'a aussitôt dit : tous les jours, je perds un objet, mais je le retrouve dans la journée quelque part dans mon sac. Et nous avons convenu que l'explication était simple : il faut du temps, et des étapes, pour que l'habitude de ranger chaque chose à une place précise soit établie, stable, même si les départs se font le plus souvent dans une certaine précipitation. Et Suzy m'a passé son savon, promesse étant faite de le lui rendre après un tour dans une boutique de la ville pour m'en acheter un autre. Et nous avons convenu de manger ensemble le soir dans un petit restaurant au bord de la rivière Najerilla. J'ai pu ainsi laver mon linge, pour constater aussi que les bonnes places pour le séchage, c'est-à-dire ensoleillées jusqu'en fin de journée étaient rares sur les cordes à linge ou sur les clôtures à l'extérieur (voir photo).
Puis
ce fut la classique tournée en ville pour boire une bière, visiter un peu la
ville, et surtout faire des boutiques pour acheter des fruits...et un
savon !
Un
bon dîner le soir :
Au
restaurant avec Suzy, nous avons bien mangé, bien bu, pour pas cher, et discuté
de tout, du comportement des pèlerins, de l'apprentissage de l'humilité, et de
cette recherche générale et personnelle que le chemin impose, et ce quel que
soit le contenu religieux que chacun y met. La conclusion est venue toute
seule, référence à Jean Gabin qui disait dans une chanson : finalement,
« je sais que je ne sais pas ». De la religion, justement, nous
étions d'accord sur l'essentiel, et c'est Suzy qui l'a formulé :
« mon Dieu est un Dieu ouvert, tolérant, et il ne m'inflige rien ».
Nous avons aussi parlé du Québec, de l'importance de l'anglais, sans pour
autant renoncer au français, m'a-t-elle précisé.
Finalement,
quelle richesse que ce peuple apporte au chemin ! Je l'ai vu rassemblé au
gîte – où il n'y a pas eu de bruit la nuit, dans ce petit bâtiment plein à
craquer ; mais, sans doute, la fatigue après une étape aussi longue plonge
le marcheur dans un profond sommeil. Des gens de toutes conditions, de toutes
les langues, je les avais déjà plus ou moins remarqués, et aussi des Brésiliens
que je voyais pour la première fois. J'étais au cœur de ce peuple. J'en ai
davantage pris conscience. Et encore
plus quand je suis parti le matin très tôt, quand dans le seul espace
disponible devant le bureau d'accueil, j'ai dû contourner, enjamber des jeunes
filles et des jeunes hommes qui dormaient profondément sur des matelas que les
hospitaliers avaient disposés par terre, la tête enfoncée dans leur sac de
couchage, alors que le niveau sonore des préparatifs de départ des uns et des
autres commençait à monter. J'étais content de partir, je me sentais bien,
j'avais récupéré des désagréments de la nuit.