jeudi 1 septembre 2022

 

Étape 7 : Los Arcos - Logroño, Mardi 06 mai 2 014, ~ 29 km

 

Photo : le pont sur le Rio Odrón, à l’arrivée



Résumé de l'étape :

Durant toute cette étape, le marcheur comprend assez vite que le chemin tourne autour de la N-111, et ce quelle que soit la configuration du terrain.

Dans une première partie, une fois hors de l'agglomération de Los Arcos, ce sont de longues lignes droites à travers les champs de blé qui attendent les pèlerins, ce qui est bien supportable de bon matin, le capital en énergie est encore à un bon niveau  ; mais c'est la deuxième partie qui est fatigante, en raison de la succession de descente et montée sur une distance aussi grande que la première ; en revanche, j'ai été à l'aise dans la descente vers Logroño, un esprit de curiosité m'animait alors : j'attendais en effet cette entrée dans la ville de Logroño qui m'avait marqué en 2 011, et j'avais hâte de confronter ma mémoire avec le réel qui allait se retrouver devant mes yeux. 

Un point intermédiaire attendu : Viana, la dernière ville de la Navarre sur le chemin.


Voir photo à l’approche de Viana
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Au gîte de Los Arcos, la nuit a été bonne : pas de ronfleurs, pas de bruit général de réveil dans le dortoir, et pas de file aux sanitaires.

À 6 heures, mon paquetage était prêt et j'avais enfilé mes vêtements de marche. Je me suis rendu dans la partie où le petit déjeuner attendait les marcheurs. Tout était sur une grande table, et il y avait de quoi bien se caler l'estomac. Chacun se servait : thé ou café, pain et divers gâteaux, yaourt, beurre, fromage, confitures, etc. J'ai pris un peu de tout, et je me suis même fait un 2e thé pour bien homogénéiser ce que j'avais pris.

Il faisait déjà clair quand j'ai pris la calle Mayor pour me rendre à la Plaza Santa Maria. Je suis passé ensuite sous le porche et j'ai franchi le pont sur le Rio Odrón. Je n'ai pas tardé à passer devant le gîte municipal qui m'a paru très convenable, vu de l'extérieur en tout cas, et j'ai continué tout naturellement dans les rues montantes. 

Ce fut ensuite la longue traversée des champs de blé, pour arriver à un point en hauteur dans les vignes. Les petits problèmes que j'ai eus à ma cheville droite se sont effacés à l'échauffement, mais dans toute la partie de dénivelés jusqu'à Viana, j'ai souffert d'une épaule et dû revoir les ceintures de mon sac, et particulièrement celle qui barre la poitrine et qui justement soulage les épaules quand le réglage est bien fait.

L'approche de Viana m'a paru longue, et le fait de serpenter autour de la N-111 me gênait. J'avais hâte d'entrer dans cette ville pour faire une petite pose et manger quelque chose après ces dix premiers kilomètres. Ce n'est que plus loin, mais cette fois dans le Rioja, une région connue pour son vin, après avoir franchi des guets dans des vallons, où j'ai entendu mon premier coucou sur le chemin cette année, et sur la fin longée de petits bâtiments en brique que je suis arrivé au pied de Viana, après avoir traversé une nouvelle fois la N-111. Et je suis entré au centre de cette ville après une petite grimpette.

 Dix kilomètres de « montagnes russes » :

Ce fut ensuite une série de dénivelés : montée, plateau, et descente dans des vallons plantés de vignes ou d'oliviers, et cela sur près de 10 km, en suivant la partie de cache-cache que le chemin livre à la route nationale. Épuisant ! J'ai retrouvé un peu de tonus après avoir mangé, debout, à la lisière d'un bois de conifères, une banane et une orange.

C'est à la fin de cette partie bosselée à souhait que j'ai fait une rencontre inattendue. J'ai franchi une passerelle en bois, pris une piste piétonnière et cyclable, et au moment où je finissais une descente pour arriver sur un plat, j'ai vu quelqu'un assis sur un rocher la tête baissée, en short et en savates, avec un tout petit sac sur le dos. Arrivé à sa hauteur, je me suis rendu compte que c'était le sympathique Italien en face duquel j'avais mangé dans le gîte à Puente la Reina. Il m'a tout de suite reconnu, et, sans faire de discours, m'a désigné ses jambes où la région des tibias était d'un rouge écrevisse. Ce n'était plus le même jeune homme ; je voyais qu'il souffrait et je lui ai demandé comment il résistait. Il m'a dit qu'il prenait des médicaments. Je ne pouvais rien faire d'autre. Je suis parti, un peu remué ; et au bout de 50 m, je suis revenu sur mes pas, pour lui dire : Si c'est une périostite, et ça en avait tout l'air, à côté des anti-inflammatoires, il faut aussi faire des applications de glace à l'arrivée. Il m'a répondu : je le fais déjà ! Et je suis reparti, en pensant à ma cheville droite qui tenait le coup, mais qui de temps à autre m'avertissait qu'une faiblesse persistait de ce côté-là.

Même après avoir aperçu des bâtiments d'une zone industrielle, je trouvais que le point haut avant la descente sur Logroño se faisait désirer, aussi j'ai mangé une petite poignée de raisins secs pour me redonner un peu plus de tonus.

 

L'arrivée à Logroño :

Une fois au point haut, j'ai entamé la descente, légère au départ, pour devenir plus pentue à l'approche de la ville. La route est asphaltée, et il me semblait qu'elle ne l'était pas en 2 011. J'avais bien dans ma mémoire quelques points de cette descente, mais dans la dernière partie la réalité ne correspondait pas tout à fait à ce que je m'attendais : je recherchais un bâtiment et une place où j'avais mangé, mais ce n'est que plus tard que je me suis rendu compte que dans ma tête je m'étais trompé de fin d'étape.

Le véritable changement fut de découvrir dans la plaine au bas de cette descente un vaste jardin en autogestion pour les habitants de la ville, alors qu'avant c'était un terrain vague rempli de hautes herbes.

Et ce fut l'arrivée sur la belle route, pour revoir le crématorium devant lequel j'ai failli, en 2 011, me faire renverser par une voiture : c'eût été en effet un comble et en même temps un avantage que de mourir à cet endroit étant donné, les dispositions que j'avais adressées à ma famille, qui stipulaient clairement qu'en cas de décès sur le chemin de Compostelle, il fallait me faire incinérer au plus près du lieu de l'accident – il n'empêche qu'en traversant à nouveau ces voies près de ce crématorium, j'ai pris toutes les précautions possibles (voir photo).

 

Mais, ce qui m'attendait encore cette année, c'était, 20 m plus loin, une cigogne qui était debout sur son fagot (voir photo), sur le même poteau qu'en 2 011), comme pour saluer mon arrivée – je n'irai pas jusqu'à dire que c'était le même oiseau, quoique cela ne soit pas impossible non plus. La nature, c'est aussi un éternel recommencement !


Tout juste à côté, j'ai traversé le grand pont, et tourné à droite pour reprendre le chemin du gîte communal, que j'ai retrouvé assez facilement.

Je m'étais dit depuis le départ que je n'avais pas à faire de réservations pour les gîtes, et ce d'autant que mon découpage correspondait à peu de chose près à celui de 2 011, et, que je voulais surtout revoir fonctionner ce chemin que j'ai connu – si tant est que l'on puisse le connaître vraiment ! - et essayer de me retrouver en meilleure position pour observer les marcheurs dans ce système.   

 

En terrain connu dans ce gîte :

Au bureau d'accueil, il y avait deux pèlerins devant moi, et, comme l'hospitalier de service attribuait d'autorité un dortoir et un lit numéroté à chaque pèlerin qui se présentait, je lui ai demandé autant que possible un lit en bas ; et il a dû rectifier ce qu'il avait déjà écrit pour me donner satisfaction. J'ai apprécié !

J'ai retrouvé dans ce gîte certaines têtes du flux dans lequel je me trouvais jusqu'ici, mais il y en avait aussi des nouvelles, espagnoles entre autres. Le gros paquet de Néerlandais avait disparu ; ces derniers avaient sans doute choisi une autre albergue.

Dans ce dortoir, j'étais le 3e à s'installer à cette heure, mais à mon retour du restaurant le soir, j'ai eu la surprise de constater qu'il n'y avait plus de place libre, les Espagnols avaient débarqué en force ; et il y en avait même des familles entières, à entendre les incessantes interpellations entre eux.

Après mon installation, je suis allé à la redécouverte de la ville, dans les environs de l'albergue, mais j'ai aussi poussé une pointe plus loin – je n'ai pas réussi à retrouver le petit restaurant sympathique dans lequel j'avais mangé en 2 011, aussi j'ai exploré d'autres quartiers de la ville tout en plaçant des repères de façon à ne pas perdre du temps pour aller dîner vers 19 heures.

À mon retour au gîte, j'ai fait comme d'habitude une reconnaissance bien marquée, pour reprendre facilement le chemin le lendemain.

 

J'ai repéré des « précieuses » :

L'idée m'est venue vers 18H30 de demander à l'hospitalier l'adresse d'un petit restaurant. Sans me dire un seul mot, il m'a tendu un petit carton sur lequel un restaurant pour pèlerins est pointé dans une ébauche de plan – j'avais déjà constaté que plusieurs responsables de gîte en Espagne orientaient facilement les pèlerins vers telle ou telle gargote généralement non loin de leur logement.

Je m'y suis retrouvé sur place en peu de temps, et, entrant dans l'établissement, qui est au rez-de-chaussée d'un immeuble, par un couloir qui longe la salle principale, j'ai remarqué tout de suite que trois femmes et un homme qui discutaient à haute voix en français y étaient attablés. Tout ce petit monde était bien habillé, aussi, moi qui me présentais en pantacourt et en savates-deux-doigts, je me suis installé à une petite table dans un coin de la partie attenante où se trouve le bar. Sur le moment, je les ai pris pour des touristes, mais écoutant leurs conversations, j'ai vite compris qu'ils étaient sur le chemin, et peut-être même que Logroño était leur point de départ – à ceci près, si j'avais bien compris, que l'homme ne faisait qu'accompagner les femmes, qu'il ne marchait pas, et pensait sans doute les reprendre un peu plus loin. Me penchant pour les regarder un peu mieux à travers des plantes vertes, il m'a semblé même après avoir entendu prononcer le mot Réunion, reconnaître un visage. Mais j'ai vite mis tout cela sur le compte de mon imagination. La parole était tenue particulièrement par les femmes, et la forme et le fond de leurs propos m'ont tout de suite fait penser à des « précieuses ».

Ces trois personnes ne pouvaient pas savoir que j'étais un Français, car je n'ai pas prononcé en seul mot pendant tout le repas, me contentant de désigner du doigt les plats que je commandais sur la carte que me présentait le serveur. Quand je suis parti, un autre groupe est entré dans le restaurant.

Ces précieuses, du moins deux d'entre elles, je les ai revues dans plusieurs étapes ; et ce n'est que bien plus loin sur le chemin, à Bercianos del Real Camino, dans des circonstances exceptionnelles que j'ai pu parler à l’une d’entre elles, parce qu'elle avait perdu ses papiers et son argent au départ le matin, et que j'ai participé, avec beaucoup d'autres, à la recherche d'un petit sac qui contenait ces précieux documents.

Une conclusion : je dois mieux tronçonner chaque étape, de façon à faire des pauses un peu plus grandes. Je me suis dit en prenant mon lit le soir : demain, ce sera encore dur pour aller à Nájera, une trentaine de bornes m'attendent. Je m'en inquiétais un peu, et je me raisonnais aussi : après une semaine de marche, si j'arrivais à enchaîner cette nouvelle grande étape sans problème, ce serait gagné pour la suite !