Étape
14 : Bénévent-l'Abbaye, 21,5 km : samedi 30 mai 2 015.
Photo :
J'arrive à Bénévent-l'Abbaye.
Résumé
de l'étape :
Dans cette petite étape, qui
traverse des paysages verdoyants qui font le charme de cette région, le
balisage suit de petites routes, à trois exceptions près.
C'est à Bénévent-l'Abbaye que j'ai
particulièrement apprécié l'accueil, la sympathie ordinaire, directe de ces
gens disposés, peut-être préparés à aider les pèlerins de passage dans leur
ville. J'en veux pour preuve l'accueil au bar, au bureau de tabacs-journaux, à
la boulangerie ou encore au salon de thé.
La commune de Bénévent-l'Abbaye est
dans l'ouest de la Creuse et au nord-est de Limoges. C'est une étape
incontournable sur la voie de Vézelay.
Il y eut l'implantation d'un
monastère avant que l'église Saint-Barthélémy ne fût construite au XIIe
siècle, au même lieu, (voir photo, photo et photo). Le nom vient du fait que
des reliques de Saint Barthélemy - le saint est originaire de Bénévento en
Italie - y ont été placées. L'édifice est imposant, en granite taillé, et il a
la caractéristique d'avoir deux clochers couverts de bardeaux de châtaigniers,
une spécialité de la région.
L'étape :
Il a fallu au départ du gîte
« Le coucher du soleil » que je reprenne l'avenue du Pont-Neuf pour
retourner à l'église de la Souterraine et rattraper le balisage là où je
l'avais laissé hier. J'ai eu quelques difficultés à sortir de la ville, si bien
que j'ai été obligé de mettre à portée des mains les feuilles de mon livre
correspondantes à l'étape du jour – je les arrache, le livre qui
« maigrit » au fil des étapes reste dans mon sac-à-dos – de façon à
serrer au mieux ses préconisations, quand elles collent au terrain, ce qui
n'est pas toujours le cas. Malgré tout, j'ai eu des difficultés à trouver la
D10.
J'ai fini par emprunter un tunnel
sous la route, puis j'ai pris la direction de Saint-Priest-la-Feuille, toujours
en marchant sur la D 10.
De façon générale, le balisage suit
pratiquement cette petite départementale, et la quitte en 3 endroits ; et,
au 3e, je me suis retrouvé au pied de Bénévent-l'Abbaye, il ne me restait plus
alors qu'à faire la dernière petite côte pour terminer l'étape.
Une
charmante factrice :
Justement, je venais de quitter un
petit chemin et de rejoindre la D 10 avant la fin de mon étape, et une petite
descente m'a ramené sur du plat avant d'attaquer la dernière petite montée.
J'ai vu alors une fourgonnette de la Poste garée sur le bord de la route, et
une jeune Bénéventine de la profession qui rangeait ses plis et autres lettres
dans un bac sur le capot de son véhicule de service ; bien entendu, elle
était habillée comme l'exige son métier, question d'identification immédiate
pour le public. Je lui ai dit bonjour, et je m'apprêtais à lui poser quelques
questions concernant le village d'arrivée – du fait de leur profession, ces
gens sont bien placés pour donner des informations justes, précises, et ont une
bonne connaissance des résidents. Mais une question m'est venue tout d'un coup
à l'esprit, car ce n'était pas la première fois que je rencontrais ces
professionnels sur le chemin : excusez-moi, lui ai-je dit, je dois vous
appeler la facteure ou la factrice ? Elle s'est mise à rire. Et
j'ai enchaîné : j'ai déjà rencontré plusieurs de vos collègues, et à chaque
fois c'était la gent féminine qui était de service. C'est une très bonne
politique de votre boîte, car, pour les contacts avec la population, les femmes
sont peut-être mieux armées. Tout en rigolant, elle m'a répondu : vous
pouvez dire la factrice ; nous sommes quatre dans le secteur dont un
homme. Et elle m'a donné quelques informations sur le village, sur la rue
commerçante où il y a de tout, m'a-t-elle dit encore, et une autre d'un grand
intérêt : la pharmacie du village est fermée le samedi après-midi, ce que
je n'avais pas du tout anticipé. Ah, si la Poste pouvait donner un peu de temps
aux factrices pour qu'elles puissent dans leur service participer à l'accueil
des pèlerins ! Il faut rêver un peu sur le chemin.
Un
premier contact avec cette petite ville :
Le temps s'était refermé quand je
suis arrivé, il pleuviotait, et j'ai vite constaté que la pharmacie du coin
était bien fermée. Comme il était beaucoup trop tôt pour me rendre au gîte, il
me restait plus qu'à aller au bar. J'ai trouvé tout de suite la rue commerçante
que la Bénéventine de factrice m'avait indiquée. Ce fut alors un remake de ce
qui s'est passé à Éguzon : la dame, très gentille, m'a conseillé d'aller
prendre un sandwich à la boulangerie et de revenir le manger dans son bar. C'est
ce que j'ai fait, en prenant tout mon temps – dehors, il ne faisait pas bon, et
j'étais bien au chaud. J'ai même pris un deuxième thé pour accompagner mon
déjeuner.
En sortant, j'ai refait un tour à la
boulangerie : je voulais savoir si en fin de journée, je pouvais encore
acheter de quoi me sustenter. Et la réponse était évidente : mais vous
prendrez ce qui restera... et quelques fois pas grand-chose !
Je suis allé faire un tour pour
prendre des photos, passer à l'église (voir photo, photo), utiliser le temps
que j'avais devant moi.
Un
bon gîte, et la rencontre de 3 pèlerins :
Il était encore loin d'être 16 H
quand je me suis décidé à monter au gîte, à 200 voire 300 m plus haut. À ma
grande satisfaction, en arrivant à l'adresse indiquée, un bâtiment qui domine
un peu l'église, la porte n'était pas fermée à clé. Dans le hall de l'entrée,
d'où je pouvais voir l'espace du gîte proprement dit, j'ai descendu mon sac et
je me suis assis, et j'ai attendu que les choses bougent. À moment donné, j'ai
vu un homme d'une taille assez grande qui circulait dans le gîte, et qui m'a
regardé. Il avait l'air d'être un hospitalier ou un responsable de
l'hébergement qui, à mon sens, n'allait pas tarder à me faire remarquer que
j'étais un peu trop en avance, que je devais attendre l'heure d'ouverture pour
m'installer. Il n'en a rien été ; il m'a fait signe d'entrer. J'ai fait
ainsi la connaissance d'Alain, un pèlerin, que j'ai retrouvé à l'arrivée de
plusieurs étapes avant que je ne finisse un peu plus loin par intégrer progressivement
son petit groupe de marche. Je pense d'ailleurs que c'est peut-être à partir de
ce gîte, à Bénévent-l'Abbaye, que ce petit groupe s'est constitué.
Alain vient de Sablé-sur-Sarthe,
près du Mans. Il s'est élancé sur le chemin à sa retraite, en partant de sa
maison, pour rejoindre la voie de Vézelay et cheminer jusqu'à
Saint-Jean-Pied-de-Port. Son projet est d'une tout autre dimension : après
cette première partie, il ambitionne de continuer par le Camino Del Norte avec
sa femme, de remonter ensuite tout seul le Camino Francés dans le Nord de
l'Espagne, de repasser les Pyrénées pour rejoindra sa maison dans la dernière
partie. Et toujours à pied ! Presque 5 mois de marche, selon ses
prévisions. L'homme n'est pas très loquace, mais sûr de lui !
Je me suis donc installé, et, après
la douche, je suis sorti pour continuer ma visite de la petite ville et faire
quelques achats pour le dîner.
Alain m'a évité de puiser dans ce
qui me restait d'arnica pour mes pieds, et ce d'autant que le lendemain,
dimanche, les pharmacies sont fermées : il m'a passé une solution à
l'arnica en me disant que je pouvais la garder en attendant. C'est drôle
comment les petits problèmes s'arrangent naturellement sur le chemin...
En fin de journée sont arrivés deux
Néerlandais qui marchaient déjà ensemble. Je ne peux pas dire que j'ai fait
leur connaissance ce jour-là ; ils ne parlent pas français, et mon anglais
est pratiquement inexistant – à ce propos, j'ai découvert qu'Alain, lui, s'en
sort bien dans la langue de Shakespeare. Je ne suis pas sûr, mais je crois que
c'est dans ce gîte que ce groupe de trois s'est constitué, l'élément
déterminant étant à mon sens une langue commune. Ces trois-là – Alain, Cor et
Ole – étaient faits pour marcher ensemble.
Le lendemain matin, j'ai aussi
compris qu'il y avait vraisemblablement un autre élément qui a fait le lien
entre eux : Le savoir-faire en cuisine. Je n'avais besoin que d'un peu
d'eau chaude pour mon thé, et d'un bout de table pour tartiner des morceaux de
pain au beurre et à la confiture, à la disposition des pèlerins dans ce
gîte ; mais tous les trois ont mis un branle-bas dans la cuisine :
ils avaient de quoi en nourriture et surtout le savoir-faire. J'avais un peu
l'impression de les gêner. Mon petit déjeuner avalé, je suis parti sans perdre
du temps.
Un
salon de thé :
Dans
la dernière partie de l'après-midi, je suis passé à la boulangerie : la
jeune employée m'a tout de suite annoncé, son regard balayant l'espace presque
vide de la vitrine, et sa bouche faisant une moue : il ne me reste pas
grand-chose, sous-entendant en qualité et en quantité ; et elle a commencé
à entrer dans les détails. Je l'ai tout de suite interrompue, je n'avais pas le
choix : si vous êtes sûre que cela se mange, je suis preneur. Elle a ri...
et elle a continué : mais vous pouvez aller manger une assiette de
charcuterie au salon de thé qui se trouve juste en face de l'église. Me voyant
un peu sceptique, elle a insisté.
C'est ainsi que je me suis retrouvé
descendant le petit escalier qui mène à la cour d'une habitation entre deux
grosses constructions (voir photo). La devanture n'a rien de commercial. Cela
faisait même très privé ! Glissant un œil par la porte, j'ai vu un
aréopage de gens du village, quatre femmes et un homme, tous bien habillés, qui
discutaient posément à des tables presque alignées, alors que j'étais en
pantacourt, polaire et savates deux doigts. J'avais commencé à faire
délicatement arrière quand un homme d'un certain âge, à coup sûr d'origine
vietnamienne, est venu vers moi grand sourire et m'a conduit dans la salle. Il
ne m'a même pas laissé le temps de m'excuser dans ce qui me paraissait être une
intrusion et m'a tout de suite dit : vous voulez manger quoi ?
Je me suis retrouvé à une petite
table, un peu mal à l'aise parce que faisant pratiquement face aux autres. Une
dame d'un certain âge sortant de l'arrière-salle est venue vers moi, et en
moins de deux ma commande était faite, sous les regards des présents que j'ai
jugés à l'instant quelque peu pesants : assiette de charcuterie, fromage,
tarte et bière. Donc, pas de thé !
Mais tout allait se débloquer et se
passer merveilleusement, principalement grâce à l'homme du groupe déjà sur
place qui par sa curiosité et la possibilité que je lui offrais, après avoir
présenté ma situation de pèlerin, et, bien entendu, répondu aux classiques
questions de la motivation sur le chemin et de cette propension à toujours y
revenir, de parler de lui-même, de ses aventures, de son propre cheminement. Il
en avait besoin. Surtout, le déclic s'est produit quand j'ai annoncé que je
venais de la Réunion. Si bien que sa femme lui répétait, de temps à autre,
après lui avoir donné discrètement de petits coups de coude : Parle moins
fort ! Pendant que je mangeais et que je buvais, et que « mon
Vietnamien » restait pratiquement à mes côtés, prêt à la suite du service,
la discussion allait bon train. Mais les dames intervenaient peu.
L'homme prenait du plaisir à
raconter le temps qu'il a passé dans l'Océan Indien ; je n'ai pas osé
l'interroger précisément, mais je pense qu'il a dû faire carrière dans la zone,
dans le personnel diplomatique ou dans le monde économique, peut-être même y
compris au temps de la colonisation. Il a vécu à Madagascar, et a fait aussi un
passage touristique à la Réunion. Sans compter l'Afrique de l'Est où il a connu
Henry de Monfreid, l'aventurier, artiste et écrivain célèbre. Il prenait du
plaisir à en parler, après que je lui avais pointé la petite aventure de ce
dernier sur son bateau « Le Rodali », un nom créole. L’aventurier
Monfreid, en partant de la Réunion, devait rejoindre l'Île Maurice, mais il a
dérivé pendant 8 jours et a été secouru près de Madagascar, dans la région de
Tamatave. J'aurais pu activer encore plus le personnage de mon interlocuteur du
jour si je m'étais souvenu à ce moment-là que le Monfreid a été ensuite reçu à
un grand dîner à l'ambassade de France à Madagascar.
Je
l'ai aussi interrogé sur l'église du village, sur les reliques de Saint
Barthélemy... mais le temps m'a manqué pour aller plus loin.
Tous ces gens-là sont restés pendant
au moins une heure, à parler, à écouter. À la fin de mon dîner, qui ne m'a
coûté que 9,70 €, je me devais de les remercier pour le temps et l'écoute
qu'ils m'ont accordés.
Il commençait à faire sombre quand
j'ai quitté le salon de thé. Je me sentais bien. Mais j'avais besoin d'évacuer
la concentration que ce passage en ce lieu a demandée. Et je suis passé au bar
prendre un ballon de vin rouge ; la dame de service m'a proposé un
Bordeaux supérieur. Je voulais faire le vide dans ma tête, me libérer l'esprit
de façon à m'endormir au plus vite, sans qu'il y ait le besoin de refaire
défiler le film de ce dîner.
De
la gentillesse partout !
Quand
je fais la visite de la ville étape, j'emmène, outre de quoi faire des photos,
mon carnet de notes pour que je puisse fixer sur le moment divers repères et
l'essentiel de petits événements intéressants. Mais cette fois-ci je n'ai pas
pu mettre la main sur un des deux stylos que j'emporte habituellement dans mon
sac. Il fallait en avoir un ce jour même car demain dimanche, aux Billanges, je
n'avais aucune chance d'en trouver. Je ne pouvais alors miser que sur le bureau
« tabacs-journaux » attenant au bar du village qui était encore
ouvert à cette heure. La dame qui s'occupe de cette boutique m'a tout de suite
dit qu'elle n'en avait pas à vendre. Je suis resté un peu désemparé devant elle
pendant quelques secondes, mais elle a ajouté : je vais vous les
donner ! Et elle m'a remis 4 stylos à bille. Je suis resté ébahi ; gardez-en
un peu pour d'autres, lui ai-je répondu. Elle m'a remis vraiment 4 stylos – ce
sont sans doute des objets de publicité, mais il n'empêche que j'étais heureux
– les petits problèmes se règlent facilement sur le chemin. Et jusqu'à
Saint-Jean-Pied-de-Port, pendant vingt-cinq autres étapes, j'ai eu toujours un
stylo à portée de la main.
Il ne
me restait plus qu'à regagner mes pénates. C'est ainsi que j'ai refait
gaillardement la petite montée qui mène au gîte.