Étape
15 : les Billanges, 28,5 km.
Photo :
J'arrive aux Billanges.
Résumé
de l'étape :
Après la Nièvre, le Cher, l'Indre et
la Creuse, je suis entré ce dimanche 31 mai 2 015 dans le département de la
Haute-Vienne (Voir photo). Cette étape de Bénévent-l'Abbaye aux Billanges
est, sans aucun doute, est à classer dans les plus belles que j'ai effectuées
sur le Vézelay, sur tous les plans : un beau profil avec des montées qui
s’enchaînent et une longue descente en forêts ; une fin de parcours en
pleine campagne avec encore de bons dénivelés, par un temps
extraordinaire ; une rencontre intéressante avec un responsable
d'association qui travaille au maintien d'un lieu de vie à Châtelus-le-Marcheix
dans le dernier tiers de la marche ; sur un plan physiologique, alors que
j'étais encore seul sur le chemin, la
volonté de réussir m'a permis de dominer des réactions momentanées du
corps. Et enfin une petite preuve : ce sont les pèlerins eux-mêmes qui
donnent du relief et de l’ambiance, de la qualité à un gîte, et non pas
seulement un bel équipement. Sans compter évidemment la personnalité de la
responsable de la structure.
L'étape :
Une
forte interrogation au départ :
Dans la dernière partie de la nuit à
Bénévent l’Abbaye, je n'ai pas dormi en raison d'une petite douleur au-dessus
de mon genou gauche, plus vers l'extérieur, et sans doute à un point de
fixation d'un muscle – je n'ai jamais eu des problèmes à cet endroit. De petits
spasmes réguliers m'ont tenu éveillé jusqu'au moment où il a fallu se préparer
pour partir. Je me suis même demandé si j'étais en mesure de faire cette
étape... et ma décision a été de ne pas reculer, après avoir bien massé la
petite partie douloureuse. « Ça passe ou ça casse », je ne pouvais
pas faire autrement, et principalement pour une raison : j'avais donné
rendez-vous le lendemain matin 01 juin, aux Billanges, à Françoise, une amie
pèlerine que j'ai connue sur la voie du Puy en 2 011 et qui, comme sur la voie
d'Arles en 2 013, voulait m'accompagner dans quelques étapes. Le plaisir est
toujours pour moi ! Mais la volonté de réussir mon chemin a écarté cette
douleur – je n'ai rien senti toute la journée, j'avais même oublié l'existence
de ce point douloureux. La magie du chemin !
À l'arrivée, après la douche, j'ai constaté
que j'avais une petite tache bleue à cet endroit, signe que je m'étais cogné
quelque part. Mais j'ai penché plutôt à une autre explication : il
m'arrive au cours de la journée de placer mon téléphone dans la poche basse mon
pantacourt, et à gauche. Cette masse au rythme de mes pas devait cogner
régulièrement contre cette partie de ma jambe, ce qui a engendré un petit
traumatisme au point d'impact. Le mal n'avait pas résisté à l'effort ; j'ai
corrigé cela, et je n'ai jamais plus eu cette douleur. Cela me confortait
encore plus dans l'idée que les douleurs résultent le plus souvent d'une
posture à rectifier, aux épaules pour le sac-à-dos, au pied pour le laçage des
chaussures, etc.
Le
déroulement :
J'ai suivi complètement les
préconisations du Lepère, en collant au balisage jusqu'à l'arrivée, d'autant
que sur la carte, il n'y avait pas d'autres possibilités, et que les courbes de
niveau indiquent des reliefs importants.
Au départ, j'ai pris la D 914, pour
attaquer sans tarder un chemin de terre qui longe une forêt, et qui y pénètre
assez rapidement. Succession de petits chemins et de petites routes
goudronnées, sans compter des passages dans des bois, en longeant de petits
ruisseaux, et des traversées de petits bourgs. Et de rudes montées : par
exemple, j'ai quitté une zone boisée, aux balises un peu espacées, et j'ai
atterri sur la départementale qui mène au village de Saint-Goussaud, la plus
pentue des routes goudronnées que j'ai faites. C’est dans cette situation que
le poids du sac se fait particulièrement sentir. Je fixais par exemple un
arbre, et je montais à petits pas, sans me préoccuper du sommet, et arrivé à
cet arbre, je me donnais un autre point de repère, et ainsi de suite. J'étais
alors au sommet le plus haut de la voie de Vézelay (moins de 1 000 m).
La nature est ainsi faite :
s'il y a une montée, la descente correspondante ne tarde pas. Je n'ai jamais
ressenti une descente aussi longue, je croyais en avoir fini avec une forêt à
un éclairci des bois et à un petit replat, mais c'était pour repartir de plus
belle dans une autre descente, dans une autre forêt. Cette succession semblait
ne pas avoir de fin... et je me posais quand même la question de l'erreur de
parcours, alors que je savais bien que cela n'était pas possible au vu de la
carte. Il ne me restait plus qu'à m'adapter, à patienter. Le village de
Châtelus-le-Marcheix que j'attendais n'arrivait toujours pas. J'étais seul dans
ces forêts, je n'ai même pas entrevu les pèlerins du gîte d'hier soir.
Je pestais contre mes chaussures qui
prenaient du plaisir à y laisser entrer des petits cailloux plus que d'habitude
– je n'arrêtais pas de me dire que mes prochaines godasses seront à coup sûr
des montantes. Et cela a duré pendant une bonne partie de cette descente,
m'obligeant à regarder de plus près le sol. Je descendais dans un sentier où
cela se voyait qu'il est pratiqué depuis la nuit des temps, et sans être un
expert, c'est la dégradation de la roche granitique qui donne une espèce de
sable (quartz ? mica ?) et des petites particules plus solides (feldspaths
?), ces éléments que je devais enlever de mes chaussures tous les 100 m. Et
pourtant, malgré ces inconvénients, je regardais ce chemin dans la montagne
d'un bon œil. Tout se mérite.
Quand je suis enfin arrivé à une
petite route goudronnée, près de Châtelus-le-Marcheix, j'étais heureux, bien
que je susse que je n'avais pas fini avec les dénivelés jusqu'aux Billanges.
Le chemin utilise ensuite des
départementales, disons plus confortables, mais avec toujours des montées assez
rudes ; et je suis parvenu à un grand plateau, qui lui aussi n'en
finissait plus : mon regard restait fixé sur l'horizon afin d'entrevoir au
loin le toit d'une maison, le signe qu'un village était enfin à ma portée.
Après une longue rue presque droite
et un carrefour, je suis arrivé à la mairie des Billanges, et à l'église juste à côté. En ce dimanche
après-midi, il y avait une manifestation à un espace communal, et sur un
parking attenant, j'ai interrogé un homme qui y revenait et prenait sa voiture
pour s'en aller. Le gîte de Françoise ? Mais vous y êtes, c'est juste
là-bas, m'a-t-il dit, en me montrant un portail.
Deux
moments très forts : La lanterne des morts, à l'entrée de
Saint-Goussaud ; la rencontre avec Daniel, à Châtelus-le-Marcheix :
Au sommet de la dure montée qui mène
à Saint-Goussaud, dans un espace gazonné, se trouve une belle lanterne des
morts. C'est une petite tour de pierres, élancée, et l'édifice est
creux, sans doute pour laisser le passage à une lampe allumée. Sa construction
remonte au XIIe siècle. Selon la légende, c'est une sorte de fanal qui guidait
les morts le soir quand ils quittaient leurs tombes pour « hanter »
les vivants, et quand ils y revenaient à l'aube. N'ayant resté qu'un moment
dans cet espace et en plein jour, pour me reposer, je n'ai pas pu vérifier si
cette légende collait un peu à une certaine réalité.
Plus sérieusement, le débat reste
ouvert quant au sens à donner à ces lanternes, qui se trouvent aussi dans des cimetières.
Son rattachement à la culture celte est fort probable : dans une autre
version, elles servaient de guide aux âmes perdues. D'une certaine façon, la
culture chrétienne a assimilé cette idée de la continuité de la vie et de la
mort. Une version non religieuse présentait un côté pratique : cette
lanterne guidait les voyageurs égarés, ou encore les prévenait de la proximité
d'un lieu dangereux.
Au bas de cette fameuse descente, à
l'intersection des routes, j'ai vu en face de moi une auberge restaurant dont
l'enseigne bien visible de loin me tendait les bras. C'était le moment de se
reposer et de s'alimenter. C'est tout petit à l'intérieur, mais il y a
l'essentiel. J'ai été accueilli par Daniel, qui m'a tout de suite demandé si je
voulais manger quelque chose – pour un dimanche en début d'après-midi et en ce
lieu si retiré alors que nous sommes encore assez loin de la période
touristique, c'était pas mal ! Au lieu d'un sandwich, il m'a proposé un
plat prêt à réchauffer. J'ai choisi un bœuf bourguignon. C'était le meilleur
bœuf bourguignon que j'ai mangé jusqu'ici... Et arrosé d'un bon thé !
La discussion a été
intéressante : Daniel m'a expliqué que la structure municipale d'accueil
des pèlerins dans ce village était à bout de souffle, les charges étaient trop
importantes pour la clientèle de passage. Et pourtant, m'a-t-il répété, il faut
tenir debout de tel lieu de vie, indispensable dans un village retiré. D'où
l'association qui a été créée pour maintenir en vie cet accueil, mais aussi
rendre des services aux habitants de ce lieu, par exemple pour le pain,
m'a-t-il dit encore. Et j'ai ajouté : d'où l'importance d'entretenir de
petits réseaux de bénévoles de façon à assurer sur le long terme cette mission.
Une
déception en découvrant mon gîte :
Le portail étant ouvert, je suis
entré dans la cour. Comme au gîte de la Souterraine, cet hébergement occupe un
ancien corps de ferme, mais ici, une bonne partie a été rénovée et destinée à
des activités artistiques, et le gîte proprement dit se tient dans la dernière
partie au fond de la cour.
En face de la table à manger se
trouve une cheminée, qui m'est apparue quelconque à ce moment-là. Un grand
escalier en bois permet d'accéder à l'étage, mais je n'y suis pas allé. Au
fond, à un niveau plus bas, une chambre à deux lits. J'ai fait et refait le
tour de tout cet espace au rez-de-chaussée pour découvrir les sanitaires – le
strict nécessaire, mais fonctionnel.
Mon impression était loin d'être
bonne : je trouvais que ce gîte n’était pas extrat, et surtout, ce qui frappait,
c'était une circulation continuelle de mouches, qui collaient aux vitres – il
devait y avoir un élevage dans le coin. Je ne pouvais pas pour autant changer
de stratégie : j'avais un toit pour la nuit ; dans la chambre, des
couvertures pliées sur les lits, et il était prévu un dîner. Il ne me restait
plus qu'à gérer le temps jusqu'au lendemain.
J'ai hésité un bon moment entre les
deux lits de la chambre, je devais tenir compte de l'entrée des mouches par la
porte et de la position des deux fenêtres.
Un
gîte très vivant au dîner :
C'est Jean-François, que j'ai connu à
la Souterraine, qui arriva ensuite, et il a pris le 2e lit dans la
chambre ; un peu plus tard, ce fut au tour du trio de Bénévent-l'Abbaye,
Alain et les deux Néerlandais, Cor et Ole, et ils se sont installés à l'étage.
En fin
de journée, le temps était à
la pluie, et dehors le froid montait. Françoise, la responsable du gîte, est
arrivée avec tout son barda – elle habite une maison au fond du terrain. Elle
apportait divers matériels pour démarrer son hébergement. Dans cette salle à manger où nous étions rassemblés
tous les cinq, à faire du courrier, de l'Internet ou de la photo, et où les
échanges en anglais avaient leur place, le Français bien entendu était aussi
utilisé. J’ai ressenti une bonne ambiance qui montait vite. Pour une simple raison :
la cheminée avait été
allumée, et elle fonctionnait bien ; les flammes sortant des bûches
éclairaient toute la salle, et entretenaient une douce chaleur dans tout le
rez-de-chaussée (voir photo, photo et photo). Un tel climat rendait la
communication encore plus facile. Sans compter que Françoise, sans être une
démonstrative dans le domaine, par des gestes simples, un mot par ci un mot par
là, s'occupait bien de son monde : un petit apéritif maison, une
discussion à lancer sur tel ou tel sujet, tout en étant à côté à préparer le
dîner. Elle a le coup de main, il est vrai que c'est une artiste – dommage que
nous n'ayons pas eu le temps de visiter la partie de ce bâtiment tout en
longueur consacrée à des activités dans ce domaine !
Elle nous a préparé un plat de pâte
de sa composition, en qualité et en quantité, si bien que nous étions tous
d'accord pour dire qu'il faudrait donner un nom à cette préparation, de façon à
la personnaliser – j'ai même insisté pour qu'elle fasse à ce sujet une petite
publication sur Internet. Un excellent
repas, avec entrée et dessert, et bien arrosé de vin ! Dans une ambiance
de veillée !
Quand Françoise a parlé de rénover
un autre bâtiment à côté, je me suis dit qu’il serait intéressant de voir
fonctionner ce nouvel équipement
Finalement dans ce gîte, j'ai passé
une excellente nuit, aucun problème de froid, aucun problème de mouches. Le
bois dans la cheminée a continué de brûler doucement pendant toute la nuit.
Tout était calme, tout était bien ! Je suis sûr que les autres aussi se
sont bien reposés. Le passage dans ce gîte fut aussi un moment de réflexion sur
le fond - voir photo : un petit texte sur un tableau dans la partie
accueil.