dimanche 13 octobre 2019


Étape 15 : les Billanges, 28,5 km.

Photo : J'arrive aux Billanges.



Résumé de l'étape :

            Après la Nièvre, le Cher, l'Indre et la Creuse, je suis entré ce dimanche 31 mai 2 015 dans le département de la Haute-Vienne (Voir photo). Cette étape de Bénévent-l'Abbaye aux Billanges est, sans aucun doute, est à classer dans les plus belles que j'ai effectuées sur le Vézelay, sur tous les plans : un beau profil avec des montées qui s’enchaînent et une longue descente en forêts ; une fin de parcours en pleine campagne avec encore de bons dénivelés, par un temps extraordinaire ; une rencontre intéressante avec un responsable d'association qui travaille au maintien d'un lieu de vie à Châtelus-le-Marcheix dans le dernier tiers de la marche ; sur un plan physiologique, alors que j'étais encore seul sur le chemin, la  volonté de réussir m'a permis de dominer des réactions momentanées du corps. Et enfin une petite preuve : ce sont les pèlerins eux-mêmes qui donnent du relief et de l’ambiance, de la qualité à un gîte, et non pas seulement un bel équipement. Sans compter évidemment la personnalité de la responsable de la structure.

L'étape :

Une forte interrogation au départ :

            Dans la dernière partie de la nuit à Bénévent l’Abbaye, je n'ai pas dormi en raison d'une petite douleur au-dessus de mon genou gauche, plus vers l'extérieur, et sans doute à un point de fixation d'un muscle – je n'ai jamais eu des problèmes à cet endroit. De petits spasmes réguliers m'ont tenu éveillé jusqu'au moment où il a fallu se préparer pour partir. Je me suis même demandé si j'étais en mesure de faire cette étape... et ma décision a été de ne pas reculer, après avoir bien massé la petite partie douloureuse. « Ça passe ou ça casse », je ne pouvais pas faire autrement, et principalement pour une raison : j'avais donné rendez-vous le lendemain matin 01 juin, aux Billanges, à Françoise, une amie pèlerine que j'ai connue sur la voie du Puy en 2 011 et qui, comme sur la voie d'Arles en 2 013, voulait m'accompagner dans quelques étapes. Le plaisir est toujours pour moi ! Mais la volonté de réussir mon chemin a écarté cette douleur – je n'ai rien senti toute la journée, j'avais même oublié l'existence de ce point douloureux. La magie du chemin !

            À l'arrivée, après la douche, j'ai constaté que j'avais une petite tache bleue à cet endroit, signe que je m'étais cogné quelque part. Mais j'ai penché plutôt à une autre explication : il m'arrive au cours de la journée de placer mon téléphone dans la poche basse mon pantacourt, et à gauche. Cette masse au rythme de mes pas devait cogner régulièrement contre cette partie de ma jambe, ce qui a engendré un petit traumatisme au point d'impact. Le mal n'avait pas résisté à l'effort ; j'ai corrigé cela, et je n'ai jamais plus eu cette douleur. Cela me confortait encore plus dans l'idée que les douleurs résultent le plus souvent d'une posture à rectifier, aux épaules pour le sac-à-dos, au pied pour le laçage des chaussures, etc.

Le déroulement :

            J'ai suivi complètement les préconisations du Lepère, en collant au balisage jusqu'à l'arrivée, d'autant que sur la carte, il n'y avait pas d'autres possibilités, et que les courbes de niveau indiquent des reliefs importants.

            Au départ, j'ai pris la D 914, pour attaquer sans tarder un chemin de terre qui longe une forêt, et qui y pénètre assez rapidement. Succession de petits chemins et de petites routes goudronnées, sans compter des passages dans des bois, en longeant de petits ruisseaux, et des traversées de petits bourgs. Et de rudes montées : par exemple, j'ai quitté une zone boisée, aux balises un peu espacées, et j'ai atterri sur la départementale qui mène au village de Saint-Goussaud, la plus pentue des routes goudronnées que j'ai faites. C’est dans cette situation que le poids du sac se fait particulièrement sentir. Je fixais par exemple un arbre, et je montais à petits pas, sans me préoccuper du sommet, et arrivé à cet arbre, je me donnais un autre point de repère, et ainsi de suite. J'étais alors au sommet le plus haut de la voie de Vézelay (moins de 1 000 m).

            La nature est ainsi faite : s'il y a une montée, la descente correspondante ne tarde pas. Je n'ai jamais ressenti une descente aussi longue, je croyais en avoir fini avec une forêt à un éclairci des bois et à un petit replat, mais c'était pour repartir de plus belle dans une autre descente, dans une autre forêt. Cette succession semblait ne pas avoir de fin... et je me posais quand même la question de l'erreur de parcours, alors que je savais bien que cela n'était pas possible au vu de la carte. Il ne me restait plus qu'à m'adapter, à patienter. Le village de Châtelus-le-Marcheix que j'attendais n'arrivait toujours pas. J'étais seul dans ces forêts, je n'ai même pas entrevu les pèlerins du gîte d'hier soir.

            Je pestais contre mes chaussures qui prenaient du plaisir à y laisser entrer des petits cailloux plus que d'habitude – je n'arrêtais pas de me dire que mes prochaines godasses seront à coup sûr des montantes. Et cela a duré pendant une bonne partie de cette descente, m'obligeant à regarder de plus près le sol. Je descendais dans un sentier où cela se voyait qu'il est pratiqué depuis la nuit des temps, et sans être un expert, c'est la dégradation de la roche granitique qui donne une espèce de sable (quartz ? mica ?) et des petites particules plus solides (feldspaths ?), ces éléments que je devais enlever de mes chaussures tous les 100 m. Et pourtant, malgré ces inconvénients, je regardais ce chemin dans la montagne d'un bon œil. Tout se mérite.

            Quand je suis enfin arrivé à une petite route goudronnée, près de Châtelus-le-Marcheix, j'étais heureux, bien que je susse que je n'avais pas fini avec les dénivelés jusqu'aux Billanges.

            Le chemin utilise ensuite des départementales, disons plus confortables, mais avec toujours des montées assez rudes ; et je suis parvenu à un grand plateau, qui lui aussi n'en finissait plus : mon regard restait fixé sur l'horizon afin d'entrevoir au loin le toit d'une maison, le signe qu'un village était enfin à ma portée.

            Après une longue rue presque droite et un carrefour, je suis arrivé à la mairie des Billanges, et à l'église juste à côté. En ce dimanche après-midi, il y avait une manifestation à un espace communal, et sur un parking attenant, j'ai interrogé un homme qui y revenait et prenait sa voiture pour s'en aller. Le gîte de Françoise ? Mais vous y êtes, c'est juste là-bas, m'a-t-il dit, en me montrant un portail.

Deux moments très forts : La lanterne des morts, à l'entrée de Saint-Goussaud ; la rencontre avec Daniel, à Châtelus-le-Marcheix :

            Au sommet de la dure montée qui mène à Saint-Goussaud, dans un espace gazonné, se trouve une belle lanterne des morts. C'est une petite tour de pierres, élancée, et l'édifice est creux, sans doute pour laisser le passage à une lampe allumée. Sa construction remonte au XIIe siècle. Selon la légende, c'est une sorte de fanal qui guidait les morts le soir quand ils quittaient leurs tombes pour « hanter » les vivants, et quand ils y revenaient à l'aube. N'ayant resté qu'un moment dans cet espace et en plein jour, pour me reposer, je n'ai pas pu vérifier si cette légende collait un peu à une certaine réalité.

            Plus sérieusement, le débat reste ouvert quant au sens à donner à ces lanternes, qui se trouvent aussi dans des cimetières. Son rattachement à la culture celte est fort probable : dans une autre version, elles servaient de guide aux âmes perdues. D'une certaine façon, la culture chrétienne a assimilé cette idée de la continuité de la vie et de la mort. Une version non religieuse présentait un côté pratique : cette lanterne guidait les voyageurs égarés, ou encore les prévenait de la proximité d'un lieu dangereux.

            Au bas de cette fameuse descente, à l'intersection des routes, j'ai vu en face de moi une auberge restaurant dont l'enseigne bien visible de loin me tendait les bras. C'était le moment de se reposer et de s'alimenter. C'est tout petit à l'intérieur, mais il y a l'essentiel. J'ai été accueilli par Daniel, qui m'a tout de suite demandé si je voulais manger quelque chose – pour un dimanche en début d'après-midi et en ce lieu si retiré alors que nous sommes encore assez loin de la période touristique, c'était pas mal ! Au lieu d'un sandwich, il m'a proposé un plat prêt à réchauffer. J'ai choisi un bœuf bourguignon. C'était le meilleur bœuf bourguignon que j'ai mangé jusqu'ici... Et arrosé d'un bon thé !

            La discussion a été intéressante : Daniel m'a expliqué que la structure municipale d'accueil des pèlerins dans ce village était à bout de souffle, les charges étaient trop importantes pour la clientèle de passage. Et pourtant, m'a-t-il répété, il faut tenir debout de tel lieu de vie, indispensable dans un village retiré. D'où l'association qui a été créée pour maintenir en vie cet accueil, mais aussi rendre des services aux habitants de ce lieu, par exemple pour le pain, m'a-t-il dit encore. Et j'ai ajouté : d'où l'importance d'entretenir de petits réseaux de bénévoles de façon à assurer sur le long terme cette mission.

Une déception en découvrant mon gîte :

            Le portail étant ouvert, je suis entré dans la cour. Comme au gîte de la Souterraine, cet hébergement occupe un ancien corps de ferme, mais ici, une bonne partie a été rénovée et destinée à des activités artistiques, et le gîte proprement dit se tient dans la dernière partie au fond de la cour.
. La porte étant simplement poussée, je suis entré ; et il n'y avait personne à l'intérieur. Au rez-de-chaussée, une grande pièce partagée en deux, sans totale séparation : l'accueil et la salle à manger contenant un espace cuisine.

            En face de la table à manger se trouve une cheminée, qui m'est apparue quelconque à ce moment-là. Un grand escalier en bois permet d'accéder à l'étage, mais je n'y suis pas allé. Au fond, à un niveau plus bas, une chambre à deux lits. J'ai fait et refait le tour de tout cet espace au rez-de-chaussée pour découvrir les sanitaires – le strict nécessaire, mais fonctionnel.

            Mon impression était loin d'être bonne : je trouvais que ce gîte n’était pas extrat, et surtout, ce qui frappait, c'était une circulation continuelle de mouches, qui collaient aux vitres – il devait y avoir un élevage dans le coin. Je ne pouvais pas pour autant changer de stratégie : j'avais un toit pour la nuit ; dans la chambre, des couvertures pliées sur les lits, et il était prévu un dîner. Il ne me restait plus qu'à gérer le temps jusqu'au lendemain.

            J'ai hésité un bon moment entre les deux lits de la chambre, je devais tenir compte de l'entrée des mouches par la porte et de la position des deux fenêtres.

Un gîte très vivant au dîner :

           C'est Jean-François, que j'ai connu à la Souterraine, qui arriva ensuite, et il a pris le 2e lit dans la chambre ; un peu plus tard, ce fut au tour du trio de Bénévent-l'Abbaye, Alain et les deux Néerlandais, Cor et Ole, et ils se sont installés à l'étage.

            En fin
de journée, le temps était à la pluie, et dehors le froid montait. Françoise, la responsable du gîte, est arrivée avec tout son barda – elle habite une maison au fond du terrain. Elle apportait divers matériels pour démarrer son hébergement. Dans cette salle à manger où nous étions rassemblés tous les cinq, à faire du courrier, de l'Internet ou de la photo, et où les échanges en anglais avaient leur place, le Français bien entendu était aussi utilisé. J’ai ressenti une bonne ambiance qui montait vite. Pour une simple raison :
la cheminée avait été allumée, et elle fonctionnait bien ; les flammes sortant des bûches éclairaient toute la salle, et entretenaient une douce chaleur dans tout le rez-de-chaussée (voir photo, photo et photo). Un tel climat rendait la communication encore plus facile. Sans compter que Françoise, sans être une démonstrative dans le domaine, par des gestes simples, un mot par ci un mot par là, s'occupait bien de son monde : un petit apéritif maison, une discussion à lancer sur tel ou tel sujet, tout en étant à côté à préparer le dîner. Elle a le coup de main, il est vrai que c'est une artiste – dommage que nous n'ayons pas eu le temps de visiter la partie de ce bâtiment tout en longueur consacrée à des activités dans ce domaine !

            Elle nous a préparé un plat de pâte de sa composition, en qualité et en quantité, si bien que nous étions tous d'accord pour dire qu'il faudrait donner un nom à cette préparation, de façon à la personnaliser – j'ai même insisté pour qu'elle fasse à ce sujet une petite publication sur Internet.  Un excellent repas, avec entrée et dessert, et bien arrosé de vin ! Dans une ambiance de veillée !

            Quand Françoise a parlé de rénover un autre bâtiment à côté, je me suis dit qu’il serait intéressant de voir fonctionner ce nouvel équipement 

            Finalement dans ce gîte, j'ai passé une excellente nuit, aucun problème de froid, aucun problème de mouches. Le bois dans la cheminée a continué de brûler doucement pendant toute la nuit. Tout était calme, tout était bien ! Je suis sûr que les autres aussi se sont bien reposés. Le passage dans ce gîte fut aussi un moment de réflexion sur le fond - voir photo : un petit texte sur un tableau dans la partie accueil.