samedi 8 octobre 2022

 

Étape 12 : San Juan de Ortega – Burgos, dimanche 11 mai 2 014, ~ 28 km – et quelques éléments du même Camino en 2 011 et en 2 014/

  1. Photo : à l’entrée de la cathédrale de Burgos. Un résumé de l'étape : Burgos est un des trois objectifs phares du Camino Francés, avec León et Santiago ; pour des pèlerins qui n'ont pas beaucoup de disponibilité ou qui rencontrent quelques difficultés à supporter toute l'épreuve, c'est déjà un but à atteindre et qui laisse espérer que la suite viendra dans un proche avenir. J'ai retenu pour cette étape trois points intermédiaires : Agés, après un peu moins de 4 km de San Juan, où j'ai pris un excellent petit-déjeuner ;  Atapuerca – on ne finit jamais d’essayer de penser ce qu'a pu être ce lieu dans la préhistoire, compte tenu des découvertes archéologiques sur ce site, et c'est  aussi le lieu où, dimanche 15 mai 2 011, deux pèlerins, « Sapiens Reunionnicus », se sont croisés et ne se sont pas reconnus (voir plus loin le récit que j'en ai rapporté et que je republie tel quel aujourd'hui) ; le passage sur le dôme de Matagrande qui domine la plaine de Burgos et qui annonce la place de la cathédrale de ce grand point de rencontre en Espagne où la découverte est permanente, passionnante.L'étape : Un départ rapide : Je suis parti du gîte de San Juan de bon matin pour retrouver un peu de calme après le concert de ronflements qu'un jeune nous a servi dans le dortoir, qui nous a tenus éveillés jusqu’en fin de nuit et qui nous a obligés de nous réveiller plus tôt que prévu. J'avais hâte de me retrouver dans le silence de la nature même si je n'avais pas grand-chose sur l'estomac. Dans la première partie qui se résume plus ou moins à du plat, le marcheur s'enfonce dans une forêt de chênes pour atteindre ensuite une clairière.  Je me suis même permis de prendre le pas d'un sportif pendant un bon moment, rien que pour me réchauffer, car il faisait froid ; le chemin continue avec des chênes d'un côté et des conifères de l'autre. J'ai pris plus loin dans une petite descente une piste qui m'a mené au petit village d'Agés après un peu moins de 4 km où j'ai pu prendre un petit-déjeuner.Un bon passage à Agés : Je suis entré dans ce village par une rue qui monte entre de vieilles bâtisses, et un bar-restaurant sur la gauche est tout de suite visible. C'est un vieux bâtiment qui a été requinqué, relooké ; à l'intérieur de petits espaces sur plusieurs niveaux où les clients peuvent s'attabler ont été emménagés. J'ai été bien accueilli et vite servi. Très cool : Jus d'orange, pains grillés, confitures, beurre et double thé. J'ai aussi demandé à la serveuse de me préparer un sandwich pour mon déjeuner sur la route. Je suis ressorti de là bien retapé. Mon départ de San Juan ayant été un peu précipité ; sur le banc à l'extérieur j'ai pris mon temps pour refaire les réglages de mon sac.Atapuerca : retour sur un site où dimanche 15 mai 2 011, deux hommes de la catégorie Sapiens « Reunionnicus » se sont croisés sans se reconnaître : J'ai passé Agés sur sa petite colline, je suis descendu dans la plaine et j'ai vite compris que de longues portions toutes droites de routes asphaltées m'attendaient. Il n'y avait pas de vent, mais il faisait froid et une petite brume continuait à s'évacuer, et je sentais bien que le soleil n'allait pas tarder à tout réchauffer avant Atapuerca. Dans ces lignes droites, mais avec quand même deux larges virages, j'ai eu une petite hésitation : ne voyant plus les balises, je décidais de repartir à une intersection plus près d'Agés, mais comme j'ai vu qu'une pèlerine prenait la même route, j'ai repris mon chemin...pour arriver bientôt à la grande pancarte annonçant Atapuerca. J'étais bien dans l'un des principaux sites archéologiques mondiaux où le dimanche 15 mai 2 011 j'avais croisé Daniel Dumont sans le reconnaître. Je me permets ici de citer exactement ce que j'ai écrit, en 2 011, lorsque j'ai relaté cette rencontre ratée :

  2. « ...j'ai vu dans une ligne droite, le GR longeait alors une grande route asphaltée, un pèlerin qui revenait de Santiago, le regard le plus souvent rivé au chemin comme pour mieux le faire défiler sous ses pieds, l'air concentré, plongé dans ses pensées, le capuchon de son coupe-vent bien enfoncé sur la tête. J'en avais déjà croisé deux ou trois, avec à peu près la même posture, à croire que tous ceux qui sont à ce niveau dans la pratique du pèlerinage arrivent à se détacher de leur environnement de façon à rassembler suffisamment de ressources pour réussir pleinement leur expérience. À 30 m, la perception d'ensemble m'a fait penser un court instant à Daniel Dumont, sans doute parce que Marie-Thérèse, une amie de mon village qui anime un petit groupe de marche, qui a déjà fait la voie du Puy-en-Velay, m'avait laissé entendre avant mon départ de la Réunion que Daniel devait se retrouver aussi quelque part sur le chemin, sans que j'aie jugé utile de lui demander des précisions. Au moment où il arrivait pratiquement à ma hauteur, j'ai chassé cette idée de mon esprit, car l'homme ne correspondait plus du tout au Dumont que j'ai toujours connu - il est vrai que je ne l'avais pas revu depuis quelque temps : il était amaigri, et surtout barbu, et je n'ai jamais connu l'homme avec seulement un soupçon de barbe. Je ne me suis même pas retourné après l'avoir croisé, tellement que j'étais sûr que le profil ne collait pas du tout à une connaissance, préoccupé aussi que j'étais à lutter contre le vent et le froid ».
  3. Mais tout s'était éclairci le lendemain, à Hornillos del Camino, quand des amis qui marchaient derrière moi, m'ont confirmé que c'était bien Daniel Dumont (ici avec sa petite-fille) – Françoise qui avait discuté avec lui m’a donné le numéro de son GSM, et nous avons pu ainsi échanger quelques SMS.
  4. Le passage du dôme de Matagrande :
  5. En peu de temps, j'ai quitté la route asphaltée et je suis monté dans un chemin de terre plus ou moins tortueux, défoncé, dans une partie de prairies bien déboisées où une pèlerine à vélo s'échignait à faire avancer sa machine bien chargée ; puis, au milieu de la pente, j'ai abordé une partie boisée de petits de chênes, avec des barbelés du terrain militaire à gauche et c'est là que j'ai vu cette jeune dame souffrir à pousser son lourd vélo. Même avec mon sac sur le dos, j'ai failli l'aider à un petit passage délicat quand je me suis retrouvé à sa hauteur. Elle n'en pouvait plus la pauvre, mais elle ne renonçait pas. Je l'ai doublée, et je ne l'ai plus revue – il n'est pas impossible qu'elle ait emprunté avant le sommet un itinéraire différent, plus adapté, les voies pour les marcheurs et celles pour les cyclistes divergent par endroits. Un peu plus haut, dans une partie de forêt, la piste redevenait plus fréquentable, mais toujours très pentue.
  6. Sur ce dôme de Matagrande, un peu avant le sommet, ma vue a été attirée par un cairn constitué de plusieurs cercles concentriques faits de petits cailloux et centrés sur une croix. Et de là des pistes partent dans tous les sens. Généralement, ces constructions de pierre marquent un lieu, un passage, où il est possible qu'autrefois des événements étaient commémorés. Rien n'interdit de penser un moment que cela peut être aussi vu comme un dispositif pour ramasser toutes les énergies dépensées en ce lieu ; mais c'était plus par curiosité que j'avais franchi ces cercles pour me mettre au centre du dispositif, quoique inconsciemment il eût pu me booster quelque peu ; mais il n'est pas impossible non plus que dans les temps préhistoriques un rite religieux y fut pratiqué, ce que sans doute certains aujourd'hui tenaient à nous le rappeler de façon symbolique, bien que le sens véritable de ces constructions nous échappe quelque peu.


Et il a fallu marcher et marcher à n'en plus finir pour atteindre le gîte de Burgos : La descente, en longeant les barbelés du terrain militaire, reste caillouteuse au début et devient ensuite plus intéressante. J'ai bien retrouvé plus bas le panneau indiqué par mon guide : suivre la route à droite -  « à  gauche, la piste descend vers Villaval ». Et plus loin le chemin coïncide avec la rue principale du village de Cardeñuela Riopico qui émerveille vraiment le passant : tout est propre, lustré, les devantures des maisons décorées (voir photo), un peu comme si une haute personnalité du pays devait être y accueillie dans la journée. Puis le chemin file vers l'autoroute.

Ce fut ensuite le passage par un pont au-dessus de cette autoroute et quelques mètres plus loin le choix de la voie de gauche pour éviter la zone industrielle de Burgos. C'est là que j'ai eu encore des hésitations. En effet, au moment où je commençais à descendre, j'ai vu un pèlerin qui avait choisi justement cette voie de gauche, comme le recommande mon livre guide, mais, arrivé à l'intersection, je n'ai pas vu de flèche confirmant cette direction. En revanche, j'ai vu un panneau avec balise invitant à prendre l'autre direction. Je me suis arrêté un moment ; une pèlerine est arrivée quelques instants après et s'est retrouvée dans la même incertitude. Je ne sais pas ce qu'elle a fait, mais moi j'ai choisi de suivre la recommandation de mon livre et qui collait bien à la réalité du coin : « descendre à gauche une piste qui passe en contrebas de logements fraîchement construits ». Et ce n'est que 2 à 300 mètres plus bas que j'ai retrouvé des balises. Il ne me restait plus qu'à y aller, Burgos était à ma portée.

Il m'a fallu encore beaucoup de temps pour continuer la descente, contourner les barbelés délimitant le terrain d'aviation, et arriver à Castañarès où j'ai décidé de suivre la N-120 alors que les balises poussaient à traverser cette route et à passer de l'autre côté – j'ai suivi alors une piste contre la nationale où j'ai retrouvé des bornes en béton avec des coquilles, et j'ai été doublé par deux jeunes Chinoises en pleine forme qui m'ont semblé très pressées, à la limite de la course. Je suis presque certain qu'elles n'étaient pas poursuivies. Après le passage d'un nœud routier, je me suis aperçu que de l'autre côté de cette nationale des pèlerins défilaient, j'ai alors traversé cette grande route pour reprendre cette voie que j'avais écartée, tout en vérifiant au fur et à mesure que j'avançais qu'elle restait bien parallèle à la nationale qui est l'axe de pénétration dans Burgos.

Les faubourgs de cette ville ne semblaient plus avoir de fin. Dans le centre, de place en place, de carrefour en carrefour, j'avançais dans l'attente de voir une petite rue qui montait vers le gîte municipal. Elle n'arrivait pas, mais le balisage était toujours présent, ce qui me rassurait. Mais, plus loin, sur une grande place, où de grands travaux étaient en cours, les flèches avaient disparu et j'ai rencontré des difficultés à coller à la continuité du chemin. J'ai interpellé une dame qui par gestes précis m'a indiqué la bonne direction – les Espagnols sont très sympathiques avec les pèlerins. Je suis finalement arrivé dans un quartier où j'ai commencé à reconnaître des bâtiments... pour finir par arriver sur « ma » petite rue qui mène au gîte municipal.

Un bon gîte, mais pas de Wi-Fi !


Une petite surprise : des pèlerins sur le trottoir étaient déjà nombreux sur place ; mais ce qui m'a gêné, voire agacé un moment, c'est d'avoir devant moi, dans la file, deux jeunes femmes qui poussaient leurs vélos. Je croyais que la règle voulait que la priorité soit accordée aux pèlerins à pied. Et au fil du temps à attendre pour se rapprocher tout doucement de la porte d'entrée, je me suis raisonné : à pied ou à vélo, ce sont des pèlerins qui comme les autres méritent un lit et un toit après avoir enduré sur le chemin – j'ai pensé à nouveau à la dame dans la montée du col de Matagrande. Je ne craignais pas qu'il y eût un manque de place compte tenu de l'affluence, ce gîte est grand ; mais il reste quand même que j'ai vu plus tard une petite dizaine de marcheurs qui se concertaient en sortant de la salle d'accueil (voir photo, et photo) pour aller chercher un autre gîte. Il y a toujours une place quelque part dans une grande ville comme Burgos, mais le temps pour cette recherche se fait au détriment de toutes ces petites choses incontournables à entreprendre avant de se coucher.

Cette fois-ci, j'étais au 3e étage dans un petit box de 8 lits ; quand je m'y suis installé, il n'y avait qu'un lit qui était marqué par un sac-à-dos, mais à mon retour après le dîner, toutes les places étaient occupées, et par des jeunes ! Les nuits se suivent, mais ne se ressemblent pas toujours : j'ai bien dormi, il n'y a eu aucun bruit dans ma partie de dortoir.

Toujours un grand plaisir à se promener sur la place de la cathédrale :  


Ce gîte, même lorsqu'il est plein, le grand nombre ne donne pas l'impression de peser sur l'atmosphère, les box sont en effet répartis sur trois étages et à chaque niveau une grande salle bien équipée est à la disposition de ceux qui veulent manger, discuter, préparer l'étape du lendemain, etc. Et c'est ainsi que j'ai pu entr'apercevoir à une table les « précieuses » de Logroño qui s'apprêtaient à prendre leur repas –  je ne les avais pas revues depuis quatre jours.
Dans l'après-midi, je suis allé bien entendu me promener et revisiter la place de la cathédrale. Cette fois-ci, je me suis particulièrement mêlé à la cohue du dimanche dans la rue qui débouche sur cette place. Je voulais manger quelque chose, mais tous les bars restaurants étaient bondés. Je suis finalement entré dans un de ces établissements en pensant prendre quelque chose au comptoir, mais il n'y avait plus une


seule place de libre même à cet endroit. J'ai eu malgré tout de la chance : une petite table dans un coin s'est libérée tout d'un coup, et j'y suis allé. J'étais un peu gêné quand je regardais tous ces gens : ce n'étaient pas des piliers de bars, facilement reconnaissables en quelque pays que ce soit, mais des familles endimanchées, des jeunes couples bien habillés et qui s'esclaffaient, mais aussi des mémés qui ne buvaient pas que du jus de fruits, et de tout jeunes enfants qui s'amusaient à la table de leurs parents. Une ambiance extraordinaire ! 


Et j'étais le seul « déguisé » en quelque sorte, j'avais ma tenue de gîte qui est le double de ma tenue de marche, avec mes savates, mais sans mon chapeau que j'avais laissé au dortoir. Dès que je me suis assis, un employé est venu prendre ma commande, et j'ai été servi en un temps record. Il n'y a pas eu de la part des autres de regard d'interrogation, de curiosité, à mon endroit ; je me sentais même comme partie intégrante de ce public, et c'est, entre autres, ce qui fait que ce chemin en Espagne est formidable. J'étais heureux ! Avec un regret bien sûr : ne pas pouvoir échanger en raison de la langue.


  1. Une deuxième tournée en fin de journée pour aller dîner : J'ai choisi un petit restaurant tout près de la cathédrale (voir photo), et une table à l'intérieur, car le froid commençait à monter bien que le soleil fût encore présent ; mais les baies vitrées permettaient d'avoir un bon coup d'œil sur la place, qui était toujours animée. Et un menu pèlerin intéressant, pour pas cher ! J'ai reconnu dans la salle des Anglais, que j'avais côtoyée avant, et nous nous sommes salués.

En m'endormant le soir, j'avais déjà la tête dans l'étape du lendemain ; compte tenu de l'affluence – j'avais aussi revu une bonne partie des cohortes de Néerlandais –, il me fallait partir assez tôt et ne pas traîner en chemin, car à Hornillos del Camino, le gîte près de l'église du village n'a qu'une trentaine de places, et la capacité d'hébergement de ce petit village n'est en rien comparable à celle de Burgos.