Étape
11 : Belorado – San Juan d'Ortega, samedi 10 mai 2 014, ~ 25 km
Un résumé de l'étape : La première partie de cette étape est comparable à celle de la précédente, un chemin plus ou moins vallonné dans des terres à blé, et qui passe par de modestes villages ou des hameaux qui semblent reprendre vie (Tosantos, Espinosa del Camino) ; en arrivant à Villafranca, le terrain change du tout au tout : c'est la Montes de Oca, à la pente sévère, parmi la forêt et la lande, un paysage qui explique un peu des légendes du Moyen Âge : des brigands détroussaient les pèlerins, et il se répétait aussi que ces derniers redoutaient les attaques des loups. Après la lande, c'est la forêt, pour arriver à la ligne de crête parcourue par une large voie forestière, qui après un passage au col de la Pedraja (1 150 m d'altitude), marqué aujourd'hui par une stèle qui rappelle à la mémoire des passants ces républicains exécutés par les troupes du général Franco pendant la guerre civile. C'est dans un paysage de landes et de conifères que le chemin finit par descendre sur San Juan d'Ortega où le monastère (à 1 000 m d'altitude) se repère vite – Juan d'Ortega, un disciple de Santo Domingo de la Cazalda, qui s'est mis au service des pèlerins, est le fondateur du monastère.
L'étape :
Le passage devant l'église de Belorado tout près d'un gîte qui est juste vers 6H30 s'est fait sans que j'aie rencontré un quelconque marcheur ; cette partie de Belorado m'a même semblé bizarre : le silence était total, tout semblait figé, et ce jusqu'au carrefour un peu plus loin.
Point n'était besoin d'avoir bien consulté le plan pour se rendre compte que cette étape allait se faire encore en compagnie de la N-120. Passerelle, piste, sentier, chemin un peu plus large, mais toujours dans les environs de cette route nationale.
À
l'approche de Villafranca de Oca, je savais que j'allais quitter la plaine, les
terres à blé, pour attaquer un massif forestier et arriver devant la vraie
difficulté du jour. Et ce qui me faisait plaisir, c'est que le soleil était
toujours bien présent, et que les meilleures conditions étaient réunies pour
affronter cette partie que j'avais faite sous l'orage en 2 011 ; un coin
qui devait être vraiment à l'écart des territoires fréquentés au Moyen Âge, où
la légende dit que des brigands détroussaient les pèlerins, sans compter que
les loups y semaient une certaine terreur.
J'ai
franchi une rivière pour entrer dans cette ville, et je me suis arrêté cette
fois-ci au bar-restaurant qui me tendait les bras, afin d'être en meilleure
condition pour attaquer cette montée. J'ai suivi la N-120 dans l'agglomération
et un couple qui marchait devant moi est parti tout droit, sans tourner à
droite comme l'indique le balisage.
La
montée est toujours bien là ; une véritable rampe qui part de la nationale, et
qui passe devant l'église ; j'étais alors seul, personne devant et personne
derrière, et j'avais les yeux grands ouverts, car je ne voulais rien rater
cette fois.
Au
départ de cette montée, qui est un véritable test de forme au bout de 10 jours
de marche, j'ai refait les réglages de mon sac-à-dos, et j'ai bu de grandes
gorgées d'eau pour être dans les meilleures conditions. Un virage à droite, un
passage le long d'un mur, puis un chemin plus herbeux. Enfin, un petit plateau
pour bien reprendre sa respiration. Mais il faut continuer dans la foulée pour
garder son rythme. Un premier bilan de cette ascension peut être fait. Passage
ensuite dans une petite forêt et auprès d'un abri où en 2 011 notre groupe
avait fait une halte sous une pluie battante qui ne nous lâchait pas.
Puis,
c'est un plateau avec la possibilité d'avoir un point de vue, et
l'occasion de tomber le sac pour faire reposer un court moment les épaules.
J'arrivais
alors vraiment dans la grande forêt ; j'entrais dans un monde de
fraîcheur, de tranquillité ; et cette forêt, je l'ai trouvée quand même
pentue, le chemin étant très humide parfois et même glissant. J'ai été doublé
par deux jeunes qui étaient en quelque sorte en compétition, mais avec de
petits sacs, et il ne m'est pas venu un seul instant de sauter dans leur pas. À
vrai dire, il me tardait d'arriver au sommet et de retrouver cette longue ligne
droite sur la crête.
Le
temps était toujours magnifique, et il ne faisait pas vraiment froid. Je me
suis rendu compte que ma mémoire n'était pas très fidèle dans cette
partie : la piste forestière n'est pas aussi large que dans l'image que
j'avais gardée dans des conditions atmosphériques difficiles ; les fossés
de chaque côté de la piste ne sont pas aussi nets et profonds, les arbres
bordant ce chemin n'étaient pas aussi imposants – y a-t-il eu abattage des
belles pièces depuis 2 011 et replantation voire repousses ? La forêt dans
son ensemble m'a paru beaucoup moins imposante que la dernière fois ; de
même, je n'avais pas retenu des petits dénivelés, Et encore moins la passerelle
sur le ravin de la Cerrada et la remontée assez raide sur l'autre rive.
Cette
fois-ci, j'ai mieux ressenti le passage à l'alto de la Pedraja, repérable par
la stèle à la mémoire des républicains fusillés pendant la guerre civile. Ce
qui me préoccupait, c'était que je ne voyais pas arriver le sentier de descente
sur la gauche qui mène à San Juan, et j'avais un peu peur de le rater. Et,
finalement, après avoir pris tout mon temps pour manger à l'ombre des arbres –
cela ne servait à rien d'arriver plus tôt et attendre l'ouverture du gîte, même
lorsqu'il fait beau, et ensuite marché dans une partie où la lande prend le pas
sur la forêt, je me suis retrouvé dans la descente. C'est en réalité une large
piste dans une forêt de conifères qui m'emmena en bas dans une partie de
prairies qui annonçait l'arrivée à San Juan. Je me suis senti bien
mieux à la vue du monastère.
Une première leçon de patience, d’humilité, de respect de l'autre :
Arrivé sur la place, j'ai constaté que l'albergue était déjà ouverte ; en y entrant dans la petite salle qui sert de bureau d'accueil, j'ai constaté que 6 personnes attendaient, et découvert au premier coup d'œil le fonctionnement d'un petit système : devant un bureau, où deux hospitaliers enregistraient les entrées (inscription, tamponnage de la créanciale et encaissement pour une nuit), était placée une chaise sur laquelle le pèlerin prenait place quand arrivait son tour ; à côté de ce bureau, le long du mur, un banc servait en quelque sorte de guide pour la file après que les entrants eurent déposé leurs sacs à dos dans un coin de la salle, et sur lequel les suivants attendaient leur tour en soufflant un peu. À mon entrée le banc était totalement occupé, et j'ai dû patienter un petit moment avant que ne se libérât une place. Et assez rapidement j'ai progressé sur ce banc pour me rapprocher de la chaise. Et tout d'un coup entre un pèlerin qui n'avait pas compris le système ou qui avait l'habitude de court-circuiter les files d'attente : d'autorité, et sans avoir jeté le moindre regard aux autres, il s'est installé sur la chaise. Personne n'a bronché, y compris les hospitaliers, et il s'est même permis d'entrer dans des détails concernant les conditions d'enregistrement. C'est dans ces échanges qui touchaient à son passeport que j'ai compris que c'était un Polonais. Ce que j'ai trouvé formidable, c'est qu'il n'y a pas eu la moindre réaction des autres, pas le moindre échange de regards, le moindre soupir chez ceux qui ont été ainsi lésés. Il n'empêche que si c'était un pèlerin que je connaissais bien, je lui aurais dit calmement mais nettement : ici, nous sommes tous fatigués et pressés, alors tu respectes les autres, tu attends ton tour. Il n'est pas impossible non plus, que voyant les autres assis et presque figés, qu'il ait cru que l'inscription était déjà réglée pour eux. Mais, même dans ce cas, il devrait y avoir par précaution un rapide regard interrogateur en direction des présents, car eux aussi étaient quelque peu pressés de choisir leurs lits et surtout de prendre une douche. Mais je me suis dit aussi qu'avant Santiago, le Chemin se chargera de lui donner quelques petites leçons à ce sujet. Je ne l'ai plus revu, le Polonais ; j'en ai rencontré d'autres, qui d'ailleurs parlaient assez bien le français, et, bien entendu, je ne leur ai pas soufflé un mot de ce petit incident à San Juan.
Un gîte qui n'a pas changé :
Sitôt ces formalités accomplies, je me suis précipité à l'étage pour constater que le premier dortoir où j'avais dormi, en 2 011 était pratiquement plein, que beaucoup de jeunes s'affairaient à préparer leurs lits et à ranger leurs affaires, et qu'il ne restait plus que quelques places disponibles, mais des lits en haut ! Sans m'arrêter, je me suis dirigé vers la 2e salle, et là j'ai eu quand même le choix pour me poser : pas trop près de la porte d'entrée, ni de celle qui débouche sur les toilettes, ni trop près d'une fenêtre pour éviter de prendre froid si quelqu'un devrait l'ouvrir toute grande la nuit, ni trop loin non plus pour bénéficier d'une entrée d'air et mieux respirer. Et surtout un lit en bas ! Ensuite, comme d'habitude, faire vite pour sauter sur une douche de libre, et enfin laver et étendre le linge. La suite était d'un classique des plus ordinaires – à noter que même si ce sont les mêmes gestes et les mêmes actions, les lieux et les circonstances étant différents les ressentis ne sont jamais les mêmes, que ce soit pour boire et manger ou visiter un lieu prétendument connu. Je veux parler, d'aller prendre un sandwich et une bière au bar-restaurant du coin, prendre des photos pendant les visites, y compris de l’église, et revenir pour une petite sieste de façon à évacuer un peu la fatigue avant la nuit, tout en pensant à l'étape du lendemain. À ce propos, c'est l’étape de Burgos qui m'attendait avec ses 27 – 28 km ...Encore un passage mythique, du moins par la part que chacun y met. Et toujours la même interrogation : sous quel temps ?
Une
fin d'après-midi, pour les visites :
Cette
albergue n'a pas changé, mais j'ai trouvé même qu'elle tenait bien le coup.
J'ai revu le patio et les vieilles pierres apparentes, et les tuiles romaines
du toit ; le tour de ronde à l'étage est toujours décoré par les vêtements
des pèlerins à sécher – c'est en effet le seul endroit par où le soleil entre
jusqu'à tard dans la journée (voir photo), où, sous les bords du toit, des nids
d'hirondelle attestent que le lieu est convenable et sécurisant.
Le
flux des pèlerins est bien présent, les dortoirs sont pleins. J'ai commencé à
essayer de m'expliquer pourquoi ils sont pleins alors que j'ai marché le plus
souvent seul, que j'ai doublé à peine 4 personnes, que j'ai moi-même été doublé
par encore moins, et que j'en ai vu d'autres qui ne s'arrêtaient même pas à San
Juan, sans doute pour se rapprocher de Burgos, l'étape suivante, une des
grandes villes de ce Camino Francés qui demande un peu plus de temps à
l'arrivée. C'est qu'ils sont sûrement partis d'un point après Belorado,
peut-être même de Villafranca, au pied de cette montée. J'ai trouvé que dans
l'albergue il y avait un bon équilibre jeune et vieux, de toutes les
nationalités. Une preuve s'il en fallait, de la vitalité de ce
pèlerinage !
Je
n'ai toujours pas revu les gros bataillons de Nordiques ; dans mon flux,
ce sont les Anglaises et les Anglais qui « dominaient », j'ai
d'ailleurs mangé au restaurant le soir avec un couple d'Anglais. L'homme
parlait assez bien le français, et nous nous sommes présentés assez
complètement – quand je lui ai parlé de la Réunion, il s'est vite repéré - j'ai
toujours sur moi un stylo et du papier pour préciser des repérages sur le
globe ; il a été surtout été intéressé par la place de la Réunion dans la
République française – un discours que j'ai eu souvent à tenir sur les chemins
et qui commence à être bien rodé. Sa femme, qui ne parlait pas du tout la
langue de Molière, se contentait de sourire... et d'apprécier le vin. Vu
l'affluence dans ce restaurant, nous avons dû attendre le 2e
service. Ce fut encore un moment de réapprentissage de la patience ; mais
je dois reconnaître que l'établissement fonctionne bien, que les personnels
sont très efficaces dans le service et que ma foi le repas n'est pas mal non
plus !
Tout
s'est donc bien déroulé, à ceci près : dans la 2e partie de la
nuit, j'ai été – pardon ! nous avons été réveillés par un
« pro » du ronflement, un jeune, qui sous la couverture et la tête
couverte d'une capuche a tenu tout le monde éveillé jusqu'au moment où il a
fallu se lever pour se préparer. Il était sur un lit en haut, presque à la
porte qui donne sur un petit couloir menant aux toilettes. Et pendant que tout le
monde passait et repassait auprès de son lit pour aller dans la salle d'eau, et
aussi pour refaire le sac-à-dos dans l'espace couloir de façon à ne pas gêner
ceux qui restaient malgré tout au lit, lui, il ronflait toujours, et de plus
belle ! Là encore, il n'y a eu aucune remarque, aucun mauvais geste.