Étape
4 : Couy, 21,5 km : mercredi 20 mai 2 015
Photo :
en route pour Couy, sur le pont de la Loire à la Charité-sur-Loire
Après l'Yonne et la Nièvre, je
suis passé au cours de cette étape dans le département du Cher. Et pour ne rien
changer, je n'ai vu aucun pèlerin, aucun marcheur. Marcher seul est en fait un
gros avantage : il n'y a pas à composer dans un groupe avec les desiderata
des uns et des autres, à supporter des humeurs, car la fatigue aidant, chacun
laisse épancher maussaderies et fantaisies.
Dans
cette étape, ce sont les grands espaces à blé qui dominent, je n'ai pas
traversé une seule vraie forêt ; j'ai vu une vraie petite ville animée,
Sancergues ; et je n'ai pas eu à gérer des erreurs de parcours – ce n'est
qu'à la Sablonnière que je me suis retrouvé dans l'indécision, mais c'est aussi
dans ce lieu que j'ai fait une rencontre inattendue : un jeune
Réunionnais, collégien, vit à Sancergues ; il avait 6 ans quand sa
famille, qui vient de Saint-Joseph à la Réunion, s'est installée en France
hexagonale.
Et
j'ai été plongé dans la vraie la campagne à mon arrivée, à 1,5 km de Couy.
Le
passage de la Loire
Il fallait penser à récupérer après
deux journées éprouvantes, d'où un découpage donnant une petite étape après la
Charité-sur-Loire. Et en partant de cette ville, j'ai ressenti le passage de la
Loire comme un véritable événement. Il en sera de même, beaucoup plus loin,
pour la Dordogne.
En
quittant l'église Notre-Dame, en bas de la ville de la Charité-sur-Loire, j'ai
pris la rue du Pont qui mène directement au fleuve. J'ai déjà traversé la Loire
(voir photo), en voiture voire en train, mais là c'était à pied et sac
au dos, et cela prenait une tout autre dimension. Le grand fleuve, le paysage,
le coup d'oeil sur le pont pour bien voir la ville qui
s'agrippe à la berge (voir photo), la
circulation importante en ce début de matinée, c'était beau ! Et pourtant
le temps était bien gris, presque noir par moments, mais je ne sais pas pourquoi
j'ai fait le lien avec une phrase célèbre mais sans qu'il y eût aucune
comparaison, juste pour la forme : Je suis venu, j'ai vu...et j'ai
apprécié – à aucun moment, bien entendu, l'idée de victoire avait effleuré mon
esprit, et ce d'autant que je n'étais qu'à la 4e étape de mon périple qui a
duré 37 jours et que je n'avais pas encore réglé, dominé, des petits problèmes
physiques. Ce passage m'avait en quelque sorte gonflé à bloc, j'attendais une
transition par rapport à ce que j'avais vécu les jours précédents.
Sancergues,
une petite ville intéressante
Après le passage des deux ponts sur
la Loire, j'ai utilisé la N151 ; il existe, paraît-il, un chemin balisé en
dehors de cette voie, mais pour moi, c'était décidé : la nationale est
toute droite jusqu'au prochain village, et de plus une bonne piste parallèle à
cette route a été faite. Sur presque 4 km, j'ai marché sur cette piste jusqu’au
hameau de l'Étang. En toute sécurité ! Un coup d'oeil sur le plan m'a
montré qu'autrement il aurait fallu faire un grand détour dans la campagne.
À partir de l'Étang, j'ai pris un
chemin de terre bien balisé, quelques petits passages boueux mais sans plus, et
ce jusqu'à Saint-Martin-des-Champs, où le balisage lui-même reprend la
nationale jusqu'à Sancergues. Sancergues est une belle petite ville, bien
animée. Pour une fois, j'étais sous un beau soleil qui réchauffait bien
l'atmosphère, car il a fait froid depuis mon départ, les trottoirs étaient
remplis de monde, et dans les petits groupes stationnés ici ou là les discussions
allaient bon train. Je me suis arrêté à l'église, qui est au centre du bourg,
la place porte le nom de Saint-Jacques (voir photo). Une dame, qui
s'occupe des œuvres de l'église, s’est approchée naturellement pour discuter un
peu avec moi, avant de repartir son sac à provisions à la main.
La
rencontre avec un jeune Réunionnais
J'ai continué ensuite dans la rue
principale, pour tourner à gauche à une intersection et prendre la D6. Je ne
sais pas pourquoi, mais en croisant un homme sur le trottoir j'ai eu l'impression,
sans doute par son allure et son teint de métis, qu'il était réunionnais. J'ai
failli le lui demander quand je suis arrivé à sa hauteur, mais je me suis
retenu. Si seulement il avait prononcé un mot... 200 m plus loin, sur cette
départementale, mon livre indique qu'il faut tourner à droite vers la
Sablonnière, et après 10 m de nouveau à droite puis à gauche. Le résultat est
que dans la rue partant à gauche, une rue qui bordait une cité, il n'y avait
aucune balise de confirmation, je l'ai vérifié deux fois. Je suis allé explorer
l'autre rue partant de la précédente intersection et ce jusqu'à un collège sur
une butte, et je n'ai rien trouvé. Le plan du guide ne donnait rien, je ne
savais pas quoi faire.
C'est alors que j'ai vu un jeune
traverser cette rue. Je suis allé lui expliquer ma situation, mais il ne
pouvait m'aider en rien. Lui aussi, par le teint, me semblait être un
Réunionnais, mais il n'avait pas du tout l'accent du pays. Ma prémonition était
toujours présente ! Sa famille habite dans la cité, un peu plus
haut ; et tout en l'interrogeant sur son collège à côté, j'ai remonté un
peu le chemin qu'il empruntait dans la cité, me disant qu'il fallait vérifier
s'il n'y avait pas de balise de ce côté-là. J'ai fini par lui demander :
Tu as toujours habité ici ? Je suis ici depuis l'âge de 6 ans, me
dit-il. Et avant ? J'étais à la Réunion, me dit-il encore sur le même ton,
ma famille est originaire de Saint-Joseph. Extra ! Je ne m'étais pas trompé, je devais rencontrer un
Réunionnais aujourd'hui, mais je me suis abstenu de lui demander de décrire son
père, sans doute l'homme que j'avais croisé peu de temps auparavant. Et c'est à
partir de là que je lui ai dit que j'étais moi aussi de là-bas, précisément de
Saint-Paul, et que je faisais le chemin de Vézelay. Il voulait me présenter à
sa mère, mais le temps passant, j'avais mon chemin à retrouver. J'ai quitté le
jeune Dylan, et je suis reparti dans la première rue que j'avais explorée au
départ, et, miracle, j'ai découvert tout à fait en haut d'un poteau de
téléphone collé au feuillage d'un arbre une balise, la seule jusqu'au fond de
cette rue. Il n'est pas impossible que des jeunes du quartier aient la fâcheuse
habitude de retirer tout ce qui est collé à leur portée dans les environs.
Dans
les grands espaces plantés de blé
À partir de cette cité, ce sont des
champs de blé, et mon guide annonce un chemin de cailloux qui monte et qui
descend. J'ai bien trouvé une petite partie caillouteuse, mais ce fut ensuite
un bon chemin de terre bien en herbe ; et pour ce qui est de la descente,
ce n'est que bien plus haut, au sommet de la colline que je l'ai trouvée –
avant d'y arriver, j'ai failli prendre sur la gauche parce que justement cela
descendait un peu. Je comprends bien que dans cette partie, sans une grosse
pierre et sans un arbre à portée, il est difficile de bien baliser. Le repérage
par rapport à un gros bouquet d'arbres en plein champ au sommet était bon, et
j'ai par la suite retrouvé des balises qui m'ont permis d'arriver sur la
départementale qui mène à Charentonnay. Mais c'est bon de
marcher dans les champs de blé par beau temps (voir photo, photo et photo),
même si les pistes sont un peu ravinées par endroits.
Par cette départementale, je suis
arrivé à Charentonnay où j'ai trouvé une belle place avec des bancs et des
toilettes publiques – et j'ai commencé à attaquer le sandwich que j'avais
emmené.
Couy,
un bourg désert sous la pluie et dans le froid
Et c'est toujours sans avoir
rencontré de marcheur que j'ai pris la D72 en direction de Couy. La pluie qui
avait menacé en plusieurs fois, me faisant sortir et rentrer mon poncho, a fini
par décider de tomber vraiment. Et c'est sous une pluie froide que je suis
arrivé à Couy. À ce moment de la journée, c'est un bourg complètement
silencieux, je n'ai pas vu un seul passant dans les rues, et la place de
l'église était déserte. Je sais que la table d'hôte où j'avais réservé est à
plus de 1,5 km de Couy, et hors du chemin, et qu'il me fallait avoir une assez
bonne indication pour ne pas risquer d'errer dans la campagne. Je décidais
alors de manger le reste de mon sandwich, je ne pouvais alors que m'abriter
sous le rebord du toit de l'église, si petit que je devais me plaquer contre le
mur pour ne pas me faire mouiller quand la pluie fouettait un peu.
Mais à un moment, j'ai vu un homme
qui sortait d'un petit commerce en face de l'église, qui était fermé jusque-là.
Je me suis précipité pour lui demander le chemin de la chambre d'hôtes. Très
gentil, l'homme est même sorti de sa voiture, alors qu'il pleuvait toujours, et
me montrant de la main : le chemin des pèlerins continue de ce côté-ci,
mais vous prenez la route de l'autre côté, et vous allez tout droit. Vous
verrez, deux ou trois petites pancartes qui annoncent cet hébergement. Au bout
d'une bonne demi-heure, vous verrez un garage sur la gauche, il vous faudra
tourner à droite, en face du garage, et vous trouverez facilement après.
J'ai vu en effet les pancartes, mais
je trouvais que le garage se faisait attendre... et la pluie continuait de
tomber. Arrivé à une espèce de hangar abritant quelques carcasses de voitures,
j'ai tourné à droite et j'ai trouvé un peu plus bas une autre pancarte qui
m'invitait à tourner à gauche. J'étais alors à nouveau dans une zone de pleine
campagne, mais au bout d'un moment je suis arrivé devant une longère restaurée
avec des animaux sur les côtés – l'homme à Couy m'avait bien dit : vous
verrez des moutons, des chèvres et d'autres animaux... le portail n'était pas
fermé, et je suis entré dans la cour. Il y avait d'autres petits bâtiments
restaurés, mais le tout faisait encore bien ferme et campagne. Sous un arbre,
des petites chaises métalliques étaient disposées, j'ai descendu mon sac et je
me suis assis un moment, mais pas longtemps, car il faisait froid et je n'étais
pas à l'abri. Remettant mon sac et mon poncho, j'ai marché un bon moment de
long en large devant cette baraque fermée, pendant qu'un petit chien à
l'intérieur aboyait régulièrement. Ces aboiements m'avaient rassuré : il y
avait bien quelqu'un qui allait revenir ici...
Un
sérieux coup de froid, mais un bon dîner
Ce n'est qu'après une bonne heure
que j'ai vu pointer une jeune femme, la fille de la responsable de la table
d'hôte. Comme je lui disais que cela faisait un bon bout de temps que j'attendais,
elle me répondit gentiment : Oh ! généralement les pèlerins
n'arrivent pas avant 16H ! Visiblement elle est à l’aise dans
l’accueil ; elle me fit visiter son atelier de poterie et me détailla même
ses créations. Elle me proposa ensuite de faire une machine pour mes vêtements
à laver, ce que j'ai accepté aussitôt, parce que j'en avais bien besoin, et
elle m'installa dans une chambre à l'arrière de la longère. Tout allait bien
dans le meilleur des mondes possibles, d'autant qu'un petit soleil avait fait
une apparition.
Un peu plus tard, après la douche et
des soins divers, alors que je récupérais mes chaussures laissées à l'extérieur
pour profiter du petit soleil, j'ai constaté que la pluie avait refait son
apparition, et qu'il faisait encore plus froid. De retour dans la chambre, la
sensation du froid se fit tout d’un coup très intense – je suis alors entré
dans une phase de « kap-kap » comme on dit en créole, ce tremblement
des mâchoires qui est une réaction musculaire pour réchauffer le corps, une
thermorégulation naturelle quand la température tombe en dessous de la normale,
qui m’a vraiment surpris. J'avais certainement pris froid à l'église et aussi à
l'arrivée quand je me suis assis en attendant un responsable du gîte. Je ne me
suis pas affolé. J'ai déjà connu cette situation, notamment à l'arrivée d'une
étape en Espagne au cours de laquelle j'ai traversé un bel orage dans le vent
et le froid en montagne (étape de Belorado à San Juan de Ortega sur le Camino
Francés, en 2 014). Et dans ce cas, il faut attaquer tout de suite... et
fort ! J'ai pris 1g d'aspirine, en un seul cachet, et je me suis mis au
lit dans mon sac à viande, sous la couverture, y ajoutant même une 2e
couverture que j’ai chipée sur un autre lit de la chambre, et après avoir
programmé le réveil de mon portable, sonnerie prévue à 18H30, question de ne
pas rater le repas du soir à 19H. Et j'ai bien dormi ! À mon réveil… j'étais
bien ! Quelles que soient la résistance entretenue du pèlerin et la
période de l'année où il effectue son périple, il est bon d'avoir dans son sac
de quoi passer un tel cap. J’ai aussitôt pensé à la suite de mon projet sur ce
Vézelay : Saint-Jean-Pied-de-Port, le terminus, était alors encore à… 34
jours. Une pensée est venue immédiatement à mon esprit : si ce soir, à
table, tu trouves bon ce que tu bois et ce que tu manges, c’est que tu n’es pas
malade.
Il était temps d'aller à la salle à
manger, au milieu de la longère. J'ai apprécié l'apéritif à base de fruits et
de vin offert par la responsable de la maison, et accompagné de petites
croquettes. J’avais donc bien surmonté mon coup de froid. Le dîner était
parfait, bien arrosé d'un vin du coin plus qu'acceptable, et le dessert maison
de qualité ! Totalement oublié mon coup de barre ! Et sur ces bases-là,
je ne pouvais que passer une bonne nuit.
N.B :
Sur cette dernière partie, particulièrement, j’attends les commentaires de mon
ami Pierre-Georges Rivière qui a marché sur la voie du Puy-en-Velay en
2 012 (voir sur la droite de la photo), et qui ne rate
jamais une occasion de faire rire la compagnie.