mercredi 28 août 2019


Étape 7 : Chârost, 25km : samedi 23 mai 2 015



Photo : Arrivée à Chârost (« Châro » : le s ne se prononce pas).



Une étape intéressante :

            La sortie de Bourges s'est finalement révélée plus simple que je ne le craignais à la reconnaissance de la veille - je suis même tombé un peu plus loin sur une boulangerie où j'ai pu faire mon ravitaillement, vivement conseillé dans une étape en pleine campagne. Les indications de mon livre collent bien pour s’approcher de la D16 où des pistes gazonnées rassurent les marcheurs qui l'empruntent. Cette départementale m'a conduit jusqu'à la Chapelle-Saint-Ursin.

            Ce fut ensuite des passages dans de jolis bois par des petites routes de campagne où j'ai réentendu « mon coucou », les paysages de la dernière étape, surtout à l'approche de l'agglomération de Bourges, ne lui convenaient certainement pas. J'ai suivi le balisage jusqu'à Villeneuve-sur-Cher. Et ce n'est que dans la fin du parcours que j'ai quitté le chemin balisé pour reprendre la D 16 et m'approcher de l'arrivée. Je suis entré dans Chârost par une petite variante que j'ai prise à un carrefour.            De belles petites routes, de grands carrefours aménagés, et pratiquement aucune voiture. J'étais vraiment tout seul dans cette campagne. J'avais tout mon temps, et j'ai apprécié le calme et la beauté des lieux. Quant à y vivre en permanence, c'est une autre histoire.



Le gîte municipal :

            Je me suis avancé dans ce village par la départementale, qui en est la rue principale, à la recherche d'une personne pour me renseigner (voir photo : le château de Chârost, XIe siècle).
  1. Mon but était la rue des Fossés où se trouve le gîte municipal. Une passante m'a dit de tourner à gauche à la prochaine, et ensuite à droite un peu plus bas. N'ayant rien trouvé, je suis remonté par une autre petite rue et j'ai vu par la porte d'entrée grande ouverte sur la cour d'un bâtiment des ouvriers boulangers facilement reconnaissables à leurs tenues. Je les ai interpellés, l'un d'entre eux est venu me voir et m'a donné les bons renseignements : Il fallait descendre encore plus dans la rue empruntée avant, passer une ancienne porte de la ville et tourner ensuite à droite. Et j'ai dû aller assez loin dans cette rue pour trouver le N° 111. C'était le grand silence dans ce quartier, à se demander si les gens étaient vraiment dans leurs maisons ce jour-là.

            Au 111 se trouve un grand bâtiment, style vieille demeure bourgeoise – j'ai compris un peu plus tard qu'il fait aujourd’hui partie d'un ensemble scolaire ; j'ai poussé le vieux portail en fer qui grince au point que je me suis retourné pour voir si quelqu'un dans les environs me regardait, mais je n'ai vu personne ; j'avais un peu l'air d'être en infraction, il n'y avait pas âme qui vive dans les environs. Je suis entré dans la cour et j'ai vu la vieille porte en bois de couleur verte, plus ou moins décolorée et abîmée par le temps, comme elle m'a été décrite, et, en m'approchant, le petit dispositif à code. J'ai tapé le code, et j'ai réussi du premier coup à ouvrir cette porte. J'ai continué à suivre les instructions : je suis allé jusqu'au fond du couloir, mais je n'ai pas trouvé tout de suite l’endroit où se trouve la clé de mon domaine d’aujourd’hui. Je suis monté à l'étage par un large escalier, et j'étais sur le point d'ouvrir une porte, n'ayant pas vu tout de suite l'écriteau « La Directrice », quand j'ai aperçu une coquille sur celle d'à côté. C'était bien ce qui m'avait été indiqué. J'étais à mon gîte.

            C'est un petit appartement qui a été transformé en hébergement pour les pèlerins. La chambre du fond est devenue un petit dortoir (2 x 2 lits superposés) ; une petite pièce a été réaménagée pour les sanitaires et une autre en un petit magasin avec des provisions où les prix sont affichés sur les boîtes et les bocaux, un petit approvisionnement pour ceux qui n'auraient pas eu le temps de faire des achats ; et la cuisine au fond sur toute la largeur de l'appartement. Et j'avais tout cet ensemble à ma disposition ! Royal ! Du moins s'il ne se présentait pas d'autres pèlerins avant la nuit. Le lendemain matin, avant de partir, j'ai déposé ma contribution dans la boîte qui se trouve dans la cuisine et je me suis enregistré sur le cahier à la disposition des pèlerins de passage.



Une première pratique d'une serrure à code :

            Après mon installation au gîte, comme d'habitude j'ai décidé d’aller faire un tour à la rue principale ; cette zone est à mon sens le centre du village. J'ai appliqué la procédure pour le cas où un autre pèlerin aurait programmé de faire halte à Chârost : fermer le local au premier, remettre la clé au bon endroit au pied de l'escalier, et ouvrir la vieille porte en bois qui, après vérification, se referme toute seule, serrure enclenchée – par précaution j'ai pris soin d'avoir sur moi le code d'accès, la mémoire peut jouer parfois des tours, et, pour employer une expression créole, je ne pouvais pas prendre le risque de « m'enfermer dehors ». La porte étant très vieille, je ne savais pas vraiment si la serrure s'enclenchait automatiquement, j'ai dû vérifier en tournant la poignée en plusieurs fois pour savoir si elle était bien verrouillée. J'ai eu deux autres pratiques de serrure à code sur mon chemin, et toutes les deux ne furent pas totalement concluantes au premier essai : au gîte municipal de Saint-Léonard-de-Noblat, 16e étape, et au gîte municipal de Bazas, la 28e, mais à la différence que dans ces deux derniers cas, je n'étais plus tout seul.

            Après avoir reparcouru la rue des Fossés, j'ai vu un homme qui se baladait dans les environs de la mairie, je suis allé lui demander s'il n'y avait pas une permanence sur place. Je voulais savoir si des arrivées de pèlerins au gîte pour la journée avaient été enregistrées. C'était un samedi et la mairie était bel et bien fermée. Je suis alors remonté à la rue principale ; j'ai repéré la boulangerie, et, en passant, j'ai vu l'enseigne d'un bar de l'autre côté de la rue. Je suis allé y faire un tour, mais sans rien attendre de plus qu'une bière – j'avais mon ravitaillement puisque mon guide le conseillait vivement pour Chârost. 

            Au retour, en milieu d'après-midi, je n'ai pas rencontré la moindre personne dans la rue, mais la surprise est que j'ai dû me reprendre à deux fois pour ouvrir la porte, un peu comme si je manquais de coordination entre l'enregistrement du code et la pression sur la poignée de la porte. Si bien que le soir, en sortant à nouveau du gîte pour aller manger au centre-ville, j'ai mis en place un autre dispositif : je n'ai pas vraiment fermé la porte, je l'ai simplement poussée, j'ai coincé une toute petite pierre entre les deux battants, après m'être assuré que de la rue un passant ne pouvait pas voir qu'elle n'était pas complètement fermée, et j'ai bien repoussé la porte en fer qui donne sur cette rue. Avec une petite appréhension au retour, en tout début de nuit, vite effacée quand j'ai vu que tout était en place, qu'il n'y avait donc eu aucune intrusion… et aucune autre arrivée de pèlerin. J'étais dans mon royaume ! Cela m'a fait penser au gîte de Brécy, mais ici cet hébergement municipal est de meilleure qualité.



Un bar-restaurant à Chârost :

            À ma première entrée dans la salle, à mon arrivée au village et après la douche, deux clients discutaient au bar devant leurs verres ; un autre, non loin, à une table, calé derrière sa bouteille de rosé, participait aussi aux échanges ; et de l'autre côté du bar une femme d'origine asiatique intervenait de temps à autre avec ses clients tout en faisant son travail. Je n'avais pas encore dit un mot qu'elle avait engagé la conversation : vous êtes un pèlerin ; je vous ai vu passer tout à l'heure, me dit-elle ; je visitais un peu le coin, lui ai-je répondu. Et j'ai ajouté, pour en venir à l'essentiel : Une bière s'il vous plaît, et un sandwich si possible. Il n'a pas fallu davantage pour qu'une longue conversation s'engage – j'avais commis un impair au départ quand je lui ai demandé si elle était d'origine vietnamienne. Elle avait un léger accent, mais parlait bien le français. Je suis cambodgienne, m'a-t-elle dit aussitôt, d'un air un peu pincé, tout en articulant bien ; puis, prenant son temps pour s'expliquer : j'ai quitté mon pays à l'âge de 15 ans pour fuir la guerre ; j'ai refait ma vie en France, ma famille y réside, et depuis quelque temps je m'occupe ici. C'était une gaffe ; je sais bien que ces deux pays voisins de la péninsule indochinoise que sont le Cambodge et le Vietnam n'ont jamais eu de très bonnes relations. Mais elle ne m'en a pas tenu rigueur, elle s'est tout de suite intéressée à ma qualité de Réunionnais quand je lui ai présenté les différentes composantes du métissage de la population de l'île venant des quatre coins du globe, et ce dès le début du peuplement de cette île – le Réunionnais est un métis. La conversation se faisait à voix haute, et même le pilier de bar prenait naturellement sa part, et surtout voulait comprendre ce qui m'avait poussé à faire le chemin de Compostelle.

            La patronne de l'établissement m'a vite convaincu qu'elle avait l'habitude de se mettre facilement au service des pèlerins. Elle entendait être concrète, efficace : votre sandwich, vous le voulez à quoi ? Et ce soir vous voulez manger quoi ? Et de me proposer 2 à 3 préparations possibles pour elle ! Charmante, accueillante, vraiment intéressante ! Un peu plus tard, elle a pris une enveloppe épinglée au-dessus du bar pour me raconter, sans entrer dans les détails, l'histoire d'une pèlerine passée chez elle – et qui vraisemblablement avait peu de moyens, et qui lui a laissé un dessin, fait pendant le repas qui lui a été servi.

            En sortant de ce bar, dans le milieu de l'après-midi, j'étais vraiment content, tout se déroulait bien : physiquement je n'avais plus de problème ; je savais qu'un bon repas était prévu pour le soir, et aussi un petit déjeuner tôt avant le départ, le lendemain. Tout avait été négocié : j'avais un bon gîte pour moi tout seul – si tant est que je ne trouvasse point d'autres pèlerins au retour du bar-restaurant. Et mieux : toujours dans le Berry, je n'avais pas de connexion à mon portable, la patronne m'a passé son téléphone, et j'ai pu ainsi réserver une place dans une chambre d'hôtes à Neuvy-Pailloux, ma prochaine étape.

            Tout était vraiment au mieux ! J'avais réussi ma première semaine de marche. Et je commençais à me dire qu'il n'y avait pas de raison pour que je n'aille pas jusqu'à Saint-Jean-Pied-de-Port, dans les Pyrénées, le terme du « Vézelay ».